VerdunLycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
LA
MORALE, LE DROIT ET LA POLITIQUE
INTRODUCTION
Pour
guider leurs actions au sein de la société, les hommes se sont
dotés de différents moyen:
- la morale: elle inscrit dans les consciences les valeurs relatives au bien et au mal;
- le droit: il édicte les règles distinguant ce qui est permis de ce qui est interdit et sanctionné;
- la politique, qui organise et dirige la collectivité.
Dans
les sociétés modernes, ces trois domaines ont pris leur autonomie :
on distingue aisément, par exemple, une mauvaise décision politique
d’une infraction au regard du droit et d’une faute morale : ce
qui est interdit par la loi ne l’est pas forcément par la morale,
la
politique peut parfois être amenée à prendre des décisions que la
morale réprouve. Un dirigeant politique qui n’a pas su réduire le
chômage en répondra sur le plan politique devant ses électeurs.
Mais s’il a commis des abus de pouvoir en transgressant les lois,
il devra en répondre sur le plan juridique devant les tribunaux.
Quant à savoir s’il a agi par manque de scrupules ou en homme
exclusivement inspiré par le bien public, c’est une question qui
relève de la morale.
Surtout,
c’est la séparation de la morale et de la politique qui paraît,
de nous jours, la plus tranchée et qui se fonde sur une séparation
entre la vie privée et la vie publique :
les vertus qu’on réclame d’un homme politique n’ont rien à
voir avec les vertus morales ordinaires. Si la vertu est le fondement
ou le principe du régime républicain, la vertu dont il s’agit est
la vertu publique et non la vertu chrétienne, par exemple.
Qui
plus est, le libéralisme classique transforme les vices privés en
vertus publiques : l’égoïsme, la cupidité, pour condamnables
qu’ils soient, considérés en eux-mêmes, sont en même temps les
moteurs du progrès économique et de la civilisation et donc
apparaissent comme les moyens utilisés par la Providence en vue
d’assurer l’avancement du genre humain (thème de la « main
invisible » chez Adam Smith). Pour les Modernes, c’est dans la vie
privée et dans ses vertus que se trouve le ressort de la morale
publique.
Ainsi
la séparation de la morale et de la politique se fait-elle suivant
une double ligne de fracture :
- une ligne rationaliste causaliste, voire matérialiste ou scientiste, qui cherche à remplacer les bonnes intentions morales par une connaissance objective des lois de l’histoire et de l’action humaine ; être moral, dans cette perspective, c’est consentir aux lois de l’histoire ;
- une ligne rationaliste finaliste qui cherche à voir dans les processus sociaux réels la manifestation d’un plan divin ; si les maux individuels concourent au bonheur collectif, c’est au fond parce que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, conformément aux calculs de la divine providence.
- Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun
Ce
qui pose donc problème, dans l’intitulé « la morale, le droit et
la politique », est la conjonction de coordination « et ». Il
s’agit d’envisager la nature des relations entre ces trois
domaines apparemment séparés, voire exclusifs, l’un de l’autre.
Or, une telle séparation est loin d’être évidente. Il nous est
en effet difficile d’admettre qu’une mesure puisse être
justifiée sur l’un de ces plans et non sur un autre, et, en
particulier, que nos exigences morales ne fassent pas toujours la loi
dans le droit ou en politique. En même temps, force est de constater
que la confusion de la morale, du droit et de la politique comporte
des risques d’abus qui ont conduit à une sorte de séparation des
pouvoirs.
Dès
lors, si chacun de ces domaines a des objectifs et des règles qui
lui sont propres, faut-il pour autant les séparer totalement, et
considérer que le droit n’a pas à se soucier de la morale, que la
politique n’a pas à se soumettre au droit, ou encore que la morale
ne peut pas juger la politique ?
I)
LA MORALE, JUGE DE LA POLITIQUE ?
La
morale et la politique ne semblent pas faire bon ménage quand
l’homme d’action tient seulement compte du réalisme, et quand le
défenseur de la morale s’en tient exclusivement aux principes.
Qu’en est-il réellement ? Peut-on opposer radicalement morale et
politique ? La politique peut-elle se passer de la morale ? La morale
peut-elle juger la politique ? Si toute action humaine vise un but à
atteindre et, pour ce faire, a besoin d’employer des moyens, sur
quoi doit-on juger une action ? Sur les objectifs poursuivis ou sur
les procédés employés ? Sur les motifs qui l’inspirent ou sur
les résultats auxquels elle aboutit ?
A)
LA MORALE SUPPOSE LA POLITIQUE
Idée
que le fondement de la morale est politique, idée d’une
subordination de la morale aux principes politiques : la morale
concerne l’individu parce qu’elle pose le problème de la valeur
de l’action – alors que le droit définit les obligations,
interdictions et permissions dans le cadre desquelles l’action peut
s’accomplir. Mais la morale ne concerne l’individu qu’en tant
qu’il est en rapport avec les autres. De sorte que la morale
suppose la politique.
A.1)
Morale et politique, définitions
Par
politique il
faut entendre la
dimension de ce qui est commun,
de ce qui est mis en commun, par opposition au privé ou au
particulier (politique vient de polis,
la cité qui, au sens grec du terme, désigne l’ensemble des
citoyens, des hommes libres déterminant eux-mêmes les modalités de
leur vie commune).
Le
terme « morale » vient du latin moralis,
de mos,
moris,
moeurs, coutumes. Il désigne l’ensemble des règles en vigueur que
les membres d’une société donnée rencontrent comme guides de
leur conduite, règles énoncées en termes de bien et de mal. La
morale apparaît ainsi comme le
système des règles que l’homme suit ou doit suivre dans sa vie
aussi bien personnelle que sociale.
Le problème moral constitue ainsi le centre de toute réflexion
puisque toute entreprise humaine est soumise à la question de savoir
si elle est justifiée ou non,
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
nécessaire,
admissible ou répréhensible, c’est-à-dire si elle aide à la
réalisation de ce qui est considéré comme souhaitable, à la
prévention ou à l’élimination de ce qui est jugé mauvais.
La
distinction entre «morale» et «éthique» n’est pas claire.
Le terme «éthique»
est fréquemment employé aujourd’hui comme synonyme de «morale». Si l’usage contemporain parle d’une «éthique des affaires», d’une «éthique des médias», désignant par là un
ensemble de
règles, de codes, d’obligations ou d’interdits inhérent à
telle ou telle profession ou branche d’activité,
en son acception originelle le terme « éthique » signifie souvent
la théorie de
la morale,
le système réfléchi des principes moraux édifié par une
philosophie, une religion, une société.
Mais,
plus fondamentalement, la morale désigne la valeur de nos actions en
tant qu’elles concernent nos rapports avec les autres, alors que
l’éthique désigne la recherche individuelle de la vie bonne et ne
concerne que moi. La morale est donc universelle, tandis que
l’éthique est particulière : «Tu ne tueras point» est un
commandement moral, alors que les prescriptions de la morale sexuelle
de l’Eglise relèvent de l’éthique.
Certaines
questions sont conçues tantôt comme des questions de morale, tantôt
comme des questions d’éthique. Les mouvements religieux ont
tendance à considérer que la question de l’avortement est une
question de morale, alors que les mouvements féministes et la gauche
tendent à considérer qu’il s’agit d’une question d’éthique.
Le problème du suicide est une question d’éthique, alors que
l’euthanasie relève de la morale.
Retenons
donc la définition de la morale comme ce qui est obligatoire dans
nos rapports avec les autres et voyons maintenant en quoi elle a une
dimension politique essentielle.
A.2)
La dimension politique de la morale
La
morale est politique par essence parce que nos rapports avec les
autres en général sont politiques : ils sont déterminés par le
fait que nous vivons dans une cité sous le gouvernement des lois.
Exemple de la politesse qui est, étymologiquement, ce qui définit
l’homme vivant dans une cité – le civilisé, celui qui sait
faire preuve de civilité. Aristote montre que puisque la cité est
le lieu où l’homme s’accomplit, la morale individuelle -
l’éthique – ne peut être qu’un moyen pour permettre à
l’homme de trouver sa place dans la cité. La connaissance des
moyens n’est possible qu’à partir de la connaissance des fins.
Cette
relation semble paradoxale à nos esprits modernes puisqu’elle
suppose une sorte de subordination de l’individu à la collectivité
dans une relation organique, - subordination qui semble contredire la
reconnaissance de l’autonomie des individus comme fondement de la
vie sociale. Or, en réalité, Aristote définit surtout la liberté
comme le fait de ne pas être soumis à un autre homme, et le
politique est l’institution d’un rapport entre égaux.
Pour
Kant, c’est l’exigence du droit et d’une organisation politique
fondée sur le droit qui constitue la justification ultime de la
morale telle qu’il la conçoit. Idée que si la morale est violée,
le droit est impossible ; le droit implique la rigueur morale.
Quelles
sont, selon Kant les caractéristiques essentielles de la morale et
de l’action morale ?
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
Une
action n’est morale que si elle n’est liée à aucun mobile
empirique. Par exemple, n’est pas morale une action qui a pour
finalité la recherche du bonheur. La caractéristique de l’action
morale est son caractère désintéressé.
On peut parler d’action morale lorsque j’ai intérêt à faire
quelque chose, et que je ne le fais pas, au nom d’un principe
supérieur (la justice, la vérité, le beau…) : lorsque, par
exemple, j’ai manifestement tout intérêt à voler ou à mentir,
et que j’y renonce parce que je juge que cela serait mal. Pour
qu’un acte puisse être considéré comme « moral », il faut donc
qu’il soit effectué parce que cet acte est jugé moral en soi, et
non eu égard à quelque intérêt que ce soit : ne pas voler, ne pas
mentir, ne pas tuer, parce que cela serait mal, et quelles qu’en
soient pour moi les conséquences. En d’autres termes, lorsque mon
acte est défini par l’intérêt, ou la crainte, ou l’espoir de
la récompense, il n’a rien de moral, même s’il est
extérieurement en accord avec la prescription morale.
Par
ailleurs, pour qu’un acte soit moral, il faut que son principe le
soit, et que ce soit pour ce principe que je l’accomplisse. Ce
principe doit être universalisable,
c’est-à-dire valable en droit pour tout le monde : à travers
l’acte moral, l’homme, en tant que personne, doit toujours être
considéré comme la finalité de mon intention ; mon acte est moral
vis-à-vis des autres si je peux vouloir qu’on agisse de la même
façon avec moi en toute circonstance. Par exemple, même si je mens
pieusement pour faire plaisir ou rendre service à quelqu’un, il
n’en demeure pas moins que le mensonge en lui-même est immoral
parce que je ne puis vouloir que l’on me mente toujours, alors que
dire la vérité est toujours et en toute circonstance désirable.
A.3)
Le pouvoir à la morale ?
Si
la morale revêt incontestablement une dimension politique, peut-on
donner pour autant le pouvoir à la morale ? En
clair, si la politique est l’art de gouverner des hommes qui sont
animés par des passions, et que les gouvernants sont eux aussi des
hommes, la priorité en politique devrait-elle être de s’assurer
de la moralité des dirigeants ?
Platon
pense qu’un gouvernement de sages serait la solution idéale au
conflit entre morale et politique. Dans La
République,
il propose de confier la direction de la cité à des philosophes qui
auront été formés à ne pas aimer le pouvoir.
Or,
la question qui se pose et qui constitue presque une aporie est la
suivante : à supposer qu’on trouve des dirigeants vertueux,
comment s’assurer qu’ils le resteront ? L’expérience montre en
effet que très souvent le pouvoir corrompt ceux qui l’exercent.
La
solution envisagée par les sociétés modernes consiste à
privilégier une autre voie que la recherche de dirigeants
incorruptibles. On peut, comme à Singapour, opter pour une
rémunération excessivement généreuse des hommes politiques afin
qu’ils ne soient pas tentés par la corruption. Mais chacun sait
que l’argent est loin d’être un gage d’honnêteté. La plupart
des Etats démocratiques supposent les gouvernants immoraux et
mettent en place des garde-fous qui les empêcheront d’abuser du
pouvoir : séparation des pouvoirs, contrôle démocratique sur les
revenus des hommes politiques, le financement des partis politiques,
des campagnes électorales, condamnation sévère de la corruption,
etc.
B)
LA POLITIQUE SANS LA MORALE
Si
la morale se fonde sur la politique, sans que la morale ait pour
autant le pouvoir, la politique peut-elle se passer de la morale ?
Peut-elle même s’opposer ouvertement à la morale ?
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
B.1)
Ethique de la conviction, éthique de la responsabilité
Selon
Kant, du point de vue de la morale, la seule chose qui soit bonne
véritablement, c’est une volonté bonne : une action devrait être
jugée morale en fonction des convictions qui l’inspirent, des
principes ou des maximes qui la sous-tendent, et non des conséquences
qu’elle entraîne.
Or,
l’action politique, qui vise à agir sur le destin des hommes,
entraîne parfois des conséquences désastreuses pour la société.
L’innocence de son auteur, la pureté de ses intentions, ne peut
suffire à l’excuser. Qu’est, en effet, une décision, sinon une
prise de risque dont il convient d’évaluer toutes les conséquences
possibles, en tentant de faire la preuve de l’imprévisible ? Un
homme politique ne peut pas se tenir pour irresponsable des
conséquences de son action en se drapant dans la pureté de ses
convictions.
C’est
ce que montre Max Weber, dans Le
savant et le politique,
en distinguant éthique
de la conviction et éthique de la responsabilité qui
constituent deux maximes différentes et opposées orientant toute
activité éthique.
Celui
qui agit selon les maximes de l’éthique
de conviction ne
se soucie guère des conséquences de ses actes, il agit par devoir
et conviction ; lorsque celles-ci sont fâcheuses, le partisan de
cette éthique n’attribuera pas la responsabilité à l’agent,
mais « au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté
de Dieu qui a créé les hommes ainsi ».
Le
partisan de l’éthique
de responsabilité,
au contraire, comptera avec les défaillances communes de l’homme
et « il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des
conséquences de sa propre action, pour autant qu’il aura pu les
prévoir » et se considérera donc comme responsable des
conséquences imputables à sa propre action.
B.2)
La fin et les moyens
La
formule «la
fin justifie les moyens»
signifie que les moyens politiques les plus cruels cessent d’être
moralement répréhensibles quand ils sont mis au service d’une
juste cause. Idée qu’en politique tous les moyens sont bons.
Raisonnement qui permet à des gouvernants de justifier l’emploi de
la torture, ou à des mouvements terroristes, les attentats contre
des civils. Si la fin est bonne, les moyens le deviennent aussi, et
tout peut être fait avec bonne conscience. Logique qui justifie les
pires crimes commis au nom des idéaux les plus purs.
La
cruauté des moyens employés préfigurent souvent le but poursuivi:
on juge une fin sur ses moyens. Si un mouvement politique s’autorise
aujourd’hui à commettre des assassinats dans le but proclamé
d’établir une société juste, une fois au pouvoir, l’assassinat
des opposants deviendra sans doute un moyen normal de gouvernement.
Tout
autre est la conception de Machiavel. Dans Le
prince,
Machiavel fait émerger cette question décisive : comment
s’emparer du pouvoir et le conserver ? Réponse
: à travers une stratégie maîtrisée et réfléchie de la
domination et de la violence, en enracinant, dans les sujets, l’amour
du maître. Le prince doit se faire obéir, c’est-à-dire qu’il
doit se faire craindre. Se
faire craindre et engendrer l’amour dans le coeur des sujets (la
crainte est très semblable à de Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun l’amour).
La cruauté et la crainte mesurées désignent de réels instruments
de domination, ainsi que l’art de sa conquête. La politique est
ici définie comme l’exercice du pouvoir qui établit une relation
de domination fondée sur la crainte et l’amour.
Machiavel
innove en émancipant la politique de la tutelle de la morale qui
forment deux univers distincts. Le fait de l’action politique passe
devant la valeur. Le
rôle de l’Etat est de se conserver.
Le chef de l’Etat ne peut vouloir d’autre fin que la conservation
de son Etat.
Dans
Le
prince,
Machiavel expose les moyens propres à réaliser cette fin. La
fin justifie effectivement les moyens :
si je veux diriger un Etat, alors je dois m’en donner les moyens.
Mais Machiavel ne confond pas pour autant le bien et le mal. Si une
cruauté peut être un bien, elle ne le sera jamais que d’un point
de vue politique ou historique ; une cruauté sera habile, efficace,
indispensable peut-être, non pas bonne ni louable moralement.
Machiavel donne l’exemple d’Agathocle : son courage et son
habileté le placent au premier rang des capitaines ; mais « sa
cruauté, son inhumanité et ses nombreuses scélératesses, ne
permettent pas de le compter au nombre des grands hommes »
(Machiavel, op.cit.). La
vertu n’a aucune valeur politique, pas plus que le vice.
Dès
lors, si la conduite de l’Etat exige quelquefois du prince une
conduite contraire à la vertu, c’est en tant qu’homme public, au
service du bien public, que le souverain peut se permettre de tels
écarts. Le prince ne saurait légitimement profiter de sa situation
dans l’Etat pour soustraire sa personne privée à la loi morale :
« Aux lois universelles de la morale le prince est tenu dans sa vie
privée, comme le plus humble de ses sujets » (ibid.). Si, en
politique, la fin justifie les moyens, la
fin dont il s’agit n’est pas n’importe quelle fin privée mais
la fin absolue : la liberté.
Machiavel distingue, en effet, les fins purement privées, égoïstes,
du bien de l’Etat.
En
ce sens, l’Etat
n’est pas la simple expression de la force brutale.
Il apparaît souvent comme l’instance capable de réfréner
l’affrontement violent des égoïsmes particuliers. C’est en
dehors de l’Etat que la méchanceté des hommes se donne libre
cours. Nécessité, selon Machiavel, d’un Etat fort, capable de
s’imposer contre les menées égoïstes.
C)
LA
POLITIQUE SUPPOSE LA MORALE
Il
s’agit maintenant de savoir où l’activité politique trouve son
fondement et sa légitimité. Qu’est-ce que la communauté
politique ?
Rappelons
le propos d’Aristote dans Les
Politiques.
Si l’homme vit en couple pour se reproduire et organise sa
maisonnée pour assurer les conditions de la vie matérielle, s’il
règle ses affaires avec ses voisins dans des communautés plus
larges – des villages -, seule la cité est véritablement une
communauté politique, c’est-à-dire une communauté fondée sur
des lois, réglée par des principes de justice, organisant le
partage des valeurs communes.
Il
y a une forme de gouvernement particulière qu’Aristote appelle
politique par opposition à la monarchie et à la tyrannie, à
l’aristocratie et à l’oligarchie : ce gouvernement est celui
dans lequel des égaux décident ensemble du sort de leur communauté.
La monarchie et sa dégénérescence – la tyrannie- ne sont pas
vraiment des formes politiques de domination : elles ne font que
reproduire à une plus grande échelle le rapports qu’on trouve à
l'intérieur de la
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
maisonnée
; les rapports du père à ses enfants qui forment le modèle du
gouvernement monarchique ; les rapports maître-esclave qui forment
le prototype de la tyrannie.
De
même, l’aristocratie et l’oligarchie comportent encore ces
éléments qui correspondent à un état de choses dans lequel
l’homme n’est pas encore développé. Or la domination politique
est celle qui correspond justement à l’essence de la cité, elle
est la seule qui soit adéquate à la nature de l’homme puisque
l’homme ne se réalise que dans une cité. La cité doit dès lors
être organisée par des hommes libres qui sont des égaux, tour à
tour gouvernants et gouvernés.
Autrement
dit, pour la question qui nous concerne – celle du rapport entre
morale et politique -, est proprement politique un
type de rapport fondé sur des conceptions morales de l’homme.
Dire, à la façon d’Aristote, que les hommes, dans la cité, sont
des égaux, c’est dire qu’ils ont tous la même valeur du point
de vue moral, puisqu’on voit bien qu’ils sont inégaux par
ailleurs.
C’est
dire qu’on peut a
contrario fonder
une monarchie, une tyrannie ou une aristocratie sur des principes non
moraux. Par exemple, la technocratie moderne est une forme
d’aristocratie qui repose sur un principe d’efficacité. La
monarchie, comme le dit Marx ironiquement, repose sur la zoologie
puisque c'est le fait d'être fils qui fait que x ou y est un bon
candidat au rôle de monarque. Les dominations traditionnelles ont
toutes peu ou prou besoin d’une légitimation d’ordre religieux.
Or
le gouvernement politique au sens d’Aristote ne peut avoir d’autre
légitimation que morale : celle qu’on peut découvrir par le
simple exercice de la raison. Ainsi les premiers républicains
modernes ont-ils accordé dans les prémisses de leurs constitutions
une grande place aux valeurs morales attachées à l’égale dignité
de tous les hommes. En organisant la rupture avec l’Eglise
catholique, la IIIe République a veillé à ce que l’école soit
le principal vecteur d’une morale laïque dont on pensait qu’elle
seule rendait possibles la cohérence et la stabilité des
institutions politiques.
De
même, la démocratie repose sur une conception morale et humaniste
de l’homme en sa qualité de citoyen : idée cartésienne que « le
bon sens est la chose du monde la mieux partagée » et que tous les
individus sont égaux en dignité. Une démocratie exige des citoyens
un certain sens de l’universel, la capacité d’adopter des
principes d’action acceptables par tous, correspondant à l’intérêt
de la communauté dans son ensemble. Elle leur demande une forme de
moralité que le XVIIIe siècle appelait vertu.
La
démocratie est cet Etat qui éduque les hommes, par ses lois, ses
institutions, l’esprit qui les anime, dans lequel les
individus s’humanisent en apprenant à consituer une véritable
communauté, fondée sur le refus de la violence et de l’arbitraire.
Il s’agit de former
des citoyens actifs,
assumant leur statut de “ gouvernants en puissance “. Cette
question de la démocratie sera approfondie dans le cours sur l’Etat.
Conclusion
:
Peut-on
donc opposer radicalement morale et politique ? La politique
peut-elle se passer de la morale ? La morale peut-elle juger la
politique ? Si la morale suppose la politique, nous avons vu que la
politique n’a pas pour fonction de mettre la morale au pouvoir et
d’éradiquer le mal ; elle peut même, dans un Etat de droit,
définir des garde-fous contre les excès et les travers
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
inhérents
à une « politisation » de la morale. Mettre au pouvoir la morale,
en effet, et lui soumettre la politique, conduit sans conteste à
instaurer un ordre moral intolérant. Mais quand les défenseurs
d’une politique se sont autorisés à ignorer la morale, ou en
faire de simples instruments, ils ont fait régner une justesse sans
bornes. La politique repose sur une conception morale de l’homme et
sur un choix de valeurs – celles de la raison, de la dignité, du
respect de la personne humaine, du progrès social -, comme on le
voit avec la démocratie. Qu’en est-il maintenant du droit qui
semble avoir partie liée avec la politique plus qu’avec la morale
? Peut-il ignorer la morale ?
- II) LE DROIT SANS LA MORALE ?
Il
arrive qu’une décision de justice heurte le sens moral, ne
serait-ce que par sa dureté ou son injustice manifeste. Exemple du
personnage des Misérables
de
Victor Hugo, Jean Valjean. Or le propre des règles du droit est
qu’elles doivent être respectées par chacun, quel que soit le
jugement moral qu’on porte sur elles. D’où la question qui
consiste à savoir si le droit n’aurait pas à être juste sur le
plan moral. Pour autant, le droit n’a-t-il pas à se soucier d’être
juste sur le plan moral ?
A)
LA DISTINCTION DU DROIT ET DE LA MORALE
Qu’est-ce
qui distingue le droit et la morale ?
A.1)
Le fondement des commandements du droit et de la morale
Le
droit et la morale ont d’abord en commun de dire ce qu’il faut
faire et ce qu’il ne faut pas faire. « Tu ne tueras point ! » est
à la fois une injonction morale et un interdit légal. Leurs
commandements, pour communs qu’ils soient, ne se situent toutefois
pas sur le même plan.
La
morale, en effet, désigne, nous l’avons vu, un ensemble
d’idées, de sentiments, de valeurs qui obligent intérieurement un
sujet humain à
respecter des valeurs sous peine de honte ou de remords de
conscience. Le droit, au contraire, est un ensemble de règles
extérieures à la conscience que l’individu est contraint à
respecter sous peine de sanctions. Le droit ne demande que de
respecter des règles égales pour tous ; il tolère même à
l’individu mal intentionné ou n’agissant que par le seul souci
de son propre intérêt, d’agir légalement de façon à protéger
ses droits et à éviter d’encourir des sanctions.
Comme
le souligne Hegel, le « droit ne dépend pas de l’intention qu’on
a en agissant ». On peut faire quelque chose avec une excellente
intention sans que pour autant la conduite soit justifiée au regard
du droit. D’autre part, une conduite peut être juridiquement
justifiée (la défense de ma propriété, par exemple) et faire
place à une intention méchante. Le droit n’a donc rien voir avec
« la conviction que ce que j’ai à faire soit juste ou injuste ».
Le criminel, par exemple, est châtié qu’il soit ou non convaincu
de la légitimité de la sanction. Le droit ne dépend pas non plus
de la disposition d'esprit dans laquelle un acte est accompli : on
peut très bien agir légalement par simple crainte de la punition ou
en songeant à la récompense qu’on obtiendra dans une autre vie.
La
morale, au contraire, incite l’individu à éprouver des sentiments
altruistes de respect, de fraternité, voire d’amour. Notion
kantienne de désintéressement, notion d’impératif
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
catégorique
consistant à « toujours traiter autrui comme une fin et jamais
seulement comme un moyen ».
Qui
plus est, les conflits
entre les morales ne
peuvent pas être résolus par une confrontation et ne peuvent pas
non plus être soumis au jugement d’un tiers. Ils sont indécidables
contrairement aux conflits juridiques. Par exemple, les partisans de
l’IVG n’ont aucun moyen de s’entendre, alors que la société
doit se prononcer sur cet acte, l’autoriser ou l’interdire. Pour
trancher entre des conflits d’intérêts et de convictions, il a
donc fallu établir un ensemble de règles et de procédures
s’imposant à tous, un droit positif.
A.2)
Le droit positif, le positivisme juridique
Le
droit positif est justement le droit qui a été établi, l’ensemble
des règles (lois, coutumes, usages) données et existant réellement
dans une société.
Comme
légalité,
la justice est de fait : en ce sens, « toutes les actions prescrites
par la loi sont justes » (Aristote, Ethique
à Nicomaque).
Il n’y a de cité, et de justice, possibles que si le juge est tenu
de respecter la loi davantage que ses propres convictions morales ou
politiques. Le fait de la loi (la légalité)
importe plus que sa valeur (la légitimité).
C’est l’autorité qui fait la loi.
Sous
l’appellation de «positivisme
juridique»,
on groupe essentiellement deux écoles de pensée qui ont en commun
de nier qu’il existe derrière la forme positive du droit une
justice supérieure capable de la juger: le
positivisme volontariste,
qui remonte aux sophistes et surtout à Hobbes, et qui a eu un grand
succès lors de la constitution des Codes au moment de la Révolution
française (Codes Napoléon), mais qui s’est effondré après la
première guerre mondiale; le positivisme
juridique proprement dit.
Pour
le positivisme
volontariste,
une entité justice
est
inutile derrière le droit positif, celui-ci étant considéré comme
émanant de la volonté d’un souverain ou d’une assemblée qui
reçoivent leur légitimité d’un pacte social. C’est l’autorité
qui fait la loi ici. La résorption du juste dans le légal est
l’ambition de l’époque révolutionnaire, d’un rationalisme
universaliste correspondant à la volonté de rompre avec la
pluralité particulariste (symbolisant l’arbitraire féodal) pour
faire régner la raison exprimée par des lois.
Le
positivisme
juridique proprement dit est
notamment représenté par Hans Kelsen et sa Théorie
pure du droit.
Il s’agit de définir un statut autonome du droit à l’égard de
la morale. Le droit doit être étudié comme un ensemble de règles
cohérentes, et non à travers les justifications qui peuvent être
données de ces règles. La conséquence est un
relativisme éthique :
puisque le droit n’a pas à être justifié, on doit considérer
tout système juridique, s’il est cohérent, pour ce qu’il est et
non pour ce qu’il devrait être; les valeurs sont relatives à un
système juridique donné, il n’appartient pas au droit de les
discuter. La science du droit doit considérer que tous les systèmes
juridiques se valent et qu’aucune valeur n’est supérieure aux
autres. Le choix de la valeur est un arbitraire de la décision qui
varie selon l’histoire, le moment, sans qu’on puisse le discuter
scientifiquement.
Dans
cette perspective, il n’y a dès lors pas de sens à opposer la
morale à la loi. Je
ne peux me soustraire aux lois au nom de la moralité, il n’existe
pas de position transcendante au régime de la légalité.
Alors que la règle morale est un impératif catégorique
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
et
autonome commandant sans conditions cf. Kant), la règle juridique
est un impératif hypothétique et hétéronome dont le respect
nécessite la force coercitive de l’Etat.
Le
positivisme juridique considère
donc que toute loi doit être respectée parce que c’est une loi,
quel que soit le jugement moral qu’on peut porter sur elle. Selon
les partisans du positivisme juridique, nous ne disposons pas des
moyens de différencier ce qui est juste de ce qui est injuste
(divergence des opinions à ce sujet, incapacité des hommes à
s’accorder entre eux dans la représentation du juste et de
l’injuste). Il faut alors renoncer à évaluer à évaluer le droit
positif au nom d’une super-norme, la justice.
Il n’y a donc pas de définition universelle de la justice.
On appellera juste ce qui est contenu dans le droit positif,
c’est-à-dire les lois établies. Une décision juste est ainsi
celle qui applique les lois en vigueur. Le droit positif ne se fonde
que sur l’acte de son institution par une autorité compétente. En
ce sens, légal
et légitime sont assimilés.
A.3)
Valeur et limites du positivisme juridique
Cette
conception positiviste a un double
mérite.
Elle
soustrait
d’abord l’idée de justice à des polémiques interminables et
permet aux tribunaux d’opérer de façon efficace; elle assure
chaque citoyen que son sort ne dépend pas des opinions de son juge,
celui-ci devant se borner à appliquer la règle édictée par le
législateur. La loi est la loi, qu’elle soit juste ou pas : aucune
démocratie ne serait possible si l’on n’obéissait qu’aux lois
qu’on approuve.
Elle
cherche ensuite à exclure
du champ de la loi les aléas de la subjectivité, à unifier les
obligations, à asseoir l’idée de Justice sur la clarté et
l’universalité de la raison.
Cette
démarche s’expose toutefois à de nombreuses critiques.
Le
positivisme juridique tend à évacuer
toute position critique quant au droit,
à ne pas faire intervenir les valeurs dans la résolution des
problèmes de justice auxquels sont confrontées les sociétés
humaines. Rappelons que des juristes nazis ont cherché dans un tel
légalisme des appuis à leurs thèses. Pensons également à ces
fonctionnaires zélés dont le seul souci est d’appliquer de la
façon la plus efficace possible des lois et des règlements, sur la
légitimité desquelles ils estiment ne pas à avoir à s’interroger,
comme si le fait de la légalité tenait lieu de raison.
Or,
après 1945, le choix fut fait de tenir rigueur aux accusés de
s’être conformés à la loi nazie, d’adopter une position
rejetant le légalisme et d’intégrer, dans la sphère juridique,
des principes, des exigences valant au-dessus de tout droit positif.
Les tribunaux condamnèrent les officiers allemands au nom de
principes valant comme norme pour tous les Etats, à savoir les
droits de l’Homme, consacrant la notion de crime contre l’humanité.
S’il
ne saurait y avoir de démocratie sans obéissance aux lois, aucune
démocratie ne serait acceptable s’il fallait, par obéissance,
renoncer à la justice ou
tolérer l’intolérable. Lorsque les lois sont manifestement
inhumaines, le sentiment de justice nous commande de leur désobéir
: justice d’Antigone contre Créon, des résistants contre les lois
de Vichy… La
conformité à la loi ne définit que la légalité; ce qui est légal
n’est pas toujours légitime, c’est-à-dire conforme à ce
qu’exige la conscience morale.
Respecter les lois, leur obéir, les
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
défendre,
certes. Mais pas au prix de la justice, pas au prix de la vie d’un
innocent ! La morale, la justice passent d’abord (la
liberté de tous, la dignité de chacun, les droits de l’autre).
Cette dimension morale de la justice sera approfondie dans la
deuxième partie du cours consacrée à l’idée de justice.
D’où,
dans le droit moderne, la reconnaissance fondamentale d’un droit
de la victime aux
minorités qui possède une légitimité supérieure à toute autre
légitimité, y compris celle de la Constitution. Est victime celui
qui subit une transformation de ses conditions d’existence sans y
consentir. Cette définition va plus loin que la notion strictement
juridique de subir un dommage : elle fait intervenir le consentement,
le préjudice subi, qui est plus éthique que légaliste. D’où
l’importance des “circonstances atténuantes”, atténuant la
responsabilité, marquant qu’il existe dans la société moderne
des rôles, et que personne ne peut revendiquer d’être l’auteur
radical de son acte. Des
lois iniques sont alors des lois qui font des victimes.
Les juges constitutionnels confèrent au droit de la victime et aux
droits de l’homme une valeur quasi constitutionnelle. Impératif
selon lequel “il ne doit pas y avoir de victime” et qui limite la
liberté et le droit.
Qui
plus est, si l’on ne peut réduire le droit et la justice à la
loi, le légitime au légal, c’est parce que la loi, étant par
définition générale, ne peut prévoir tous les cas qui se
présentent : le magistrat, au lieu d’appliquer mécaniquement un
règlement, doit faire preuve d’équité
:
face à un cas qui n’a pas été prévu par la loi, il doit se
demander dans quel esprit le législateur aurait tranché, s’il
avait été confronté à cette situation.
Aristote
affirme ainsi que le juge est chargé de « corriger les effets de la
loi » : la loi est trop générale et rigide, alors que les actions
humaines sont marquées par la contingence et l’irrégularité.
Adapter la loi, corriger la justice par l’équité engage la vertu
de justice qui s’exprime par la conduite propre du juge : la
prudence. Aristote résout le problème de l’adéquation du général
au particulier par le moyen d’une vertu, la justice, et d’une
conduite, la prudence du juge. C’est ce qu’on appelle la
jurisprudence (l’autorité
d’un ensemble de règles qui se dégagent des décisions des
tribunaux). Le juge, dans ses sentences, ne se borne pas à mettre en
relation le cas particulier dont il a à juger avec les principes
généraux contenus dans le texte de la loi. La justice n’est pas
uniquement ce que stipule la lettre de la loi. Le juge l’interprète
et chacun attend de la loi qu’elle envisage les cas les plus
particuliers.
Ainsi,
par fidélité à la justice, à l’esprit de la loi, la décision
du juge doit-elle parfois aller à l’encontre de la lettre de la
loi. Trop général, le texte de la loi n’est pas exempt
d’ambiguïtés qui ne sont manifestes qu’en présence des cas
d’espèce. Le législateur ne peut prévoir les difficultés
résultant de l’évolution en tout domaine : pratique sociale,
économique, connaissances, techniques, etc. C’est donc pour des
raisons à la fois techniques - liées à la nature de la loi et du
réel - et morales - l’exigence d’une meilleure justice - que
l’application du droit comporte une jurisprudence.
Conclusion
:
Il
semble donc que la
justice ne soit réductible ni au sentiment que nous en éprouvons,
ni au droit positif,
qui pourtant constitue le dépassement du sentiment de justice dans
la loi stable et objective. Il
n’est pas possible de résorber la notion de légitimité dans
celle de légalité.
Qu’est-ce qui dès lors permet de juger le droit, de fonder sa
légitimité ? A quelles conditions les règles du droit sont-elles
indiscutablement justes ?
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
B)
L’IDEE DE JUSTICE
Qu’est-ce
que la justice et quand une loi ou une décision politique
peuvent-elles être considérées comme justes ? A
contrario,
y a-t-il des lois injustes et, dans l’affirmative, en quoi
consistent-elles exactement?
B.1)
La justice, fait et valeur
L’idée
de justice renvoie à l’exigence de réciprocité,
d’équivalence
entre
ce que l’on prend et ce que l’on donne, d’égalité,
d’impartialité mais aussi de correction et de compensation. La
justice se dit en deux sens : comme conformité
au droit et
comme égalité
ou proportion.
Nous jugeons injustes aussi bien l’écart trop criant des richesses
que la transgression de la loi; le juste, au contraire, est celui qui
ne viole ni la loi ni les intérêts légitimes d’autrui, ni le
droit en général ni les droits des particuliers. La justice se joue
donc tout entière dans ce double respect de la légalité, dans la
cité, et de l’égalité entre individus.
La
justice désigne donc à la fois le fait
de
la
légalité mais
aussi une valeur
ou
une vertu
(l’égalité,
l’équité).
Lorsque nous disons d’une décision de justice qu’elle est
injuste, nous mesurons une réalité à l’aune d’une idée, d’un
idéal. Comme vertu, c’est-à-dire comme disposition habituelle à
accomplir le bien, à réaliser un acte moral, la justice, considérée
dans la philosophie grecque comme une vertu cardinale avec le
courage, la tempérance et la prudence, est la capacité à faire
rayonner en soi et hors de soi l’égalité et l’équité.
L’esprit
de justice se
caractérise d’abord par la conscience du fait qu’il y a des
choses à faire et des choses à ne pas faire dans la relation avec
les autres : des obligations et des interdictions. Etre juste, c’est
faire ce qu’on doit. A mes devoirs, correspondent les droits des
autres. Etre juste, c’est aussi donner à chacun ce à quoi il a
droit, ce qui lui revient. Ainsi,
être juste, au sens moral du terme, c’est refuser de se mettre
au-dessus des lois (la justice, même comme vertu, reste liée à la
légalité) et des autres (par quoi elle reste liée à l’égalité).
La justice repose sur le
principe de l’égalité («
la loi doit être la même pour tous”) et celui de l’équité
(“on
doit offrir à chacun ce qui lui dû”).
Définition
d’André Comte-Sponville (Petit
traité des grandes vertus) :
«Qu’est-ce qu’un juste? C’est quelqu’un qui met sa force au
service du droit, et des droits, et qui, décrétant en lui l’égalité
de tout homme avec tout autre, malgré les inégalités de fait ou de
talents, qui sont innombrables, instaure un ordre qui n’existe pas
mais sans lequel aucun ordre jamais ne saurait nous satisfaire ».
La
justice n’est pas
une vertu comme une autre:
elle est l’horizon
de toutes,
toute valeur la suppose et toute humanité la requiert; elle est ce
sans quoi les valeurs cesseraient d’en être (ce ne seraient plus
qu’intérêts ou mobiles), ou ne vaudraient rien. « Si la justice
disparaît, écrit Kant, c’est chose sans valeur que le fait que
des hommes vivent sur la terre » (Doctrine
du droit,
II, 1) : s’il fallait, pour sauver l’humanité, condamner un
innocent, torturer un enfant, l’humanité ne vaudrait pas la peine
de vivre. La justice vaut plus et mieux que le bien-être ou
l’efficacité; même l’humanité, même le bonheur, même
l’amour, ne sauraient, sans la justice, valoir absolument : être
injuste par amour, c’est faire de l’amour favoritisme ou
partialité; être injuste pour son propre bonheur ou pour celui de
l’humanité, c’est faire du bonheur égoïsme ou confort.
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
Sans
justice, en somme, il n’y aurait ni légitimité ni
illégitimité.
B.2)
Les différents critères du Juste
Quels
sont les critères du Juste? Quelles sont les principales formes que
revêt l’idée de justice?
B.2-
1 L’égalité juridique
Etre
juste, c’est d’abord respecter l’égalité juridique. C’est
celle qui est proclamée et garantie par l’article premier de la
Déclaration des droits de l’homme de 1789 : les hommes naissent et
demeurent libres égaux en droits. Egalité de tous devant la loi qui
garantit qu’un homme n’est pas jugé pour ce qu’il est mais
pour ce qu’il fait et pour l’infraction qu’il a commise. Cette
égalité juridique s’oppose à l’arbitraire
et
garantit que le ministre, le chef d’Etat ont les mêmes devoirs au
regard de la loi que le citoyen de base. Les droits et les devoirs
sont en théorie les mêmes pour tous. Et si tel n’est pas toujours
le cas, il est possible de défendre ce principe devant les tribunaux
et de déférer devant les tribunaux le ministre ou l’homme
politique corrompu.
Cette
notion d’égalité juridique est précisément un des fondements de
l’Etat de
droit.
Le citoyen peut faire valoir ses droits contre les prétentions et
l’arbitraire du gouvernement ou de l’administration. Dans l’Etat
autocratique, au contraire, le citoyen ne dispose d’aucun recours
légal contre les actes de l’administration. Ce recours, dans un
Etat de droit, existe soit devant les tribunaux ordinaires, soit
devant des cours spéciales. Le citoyen peut obtenir du gouvernement
ou de l’administration, si sa plainte aboutit, soit qu’une mesure
illégale soit invalidée, soit qu’un tort soit redressé
(dommages-intérêts, restitutions…). Le gouvernement et
l’administration sont donc soumis au juge et les organes du
gouvernement sont tenus d’exécuter les décisions judiciaires.
Cela exclut les emprisonnements arbitraires, l'usage de la violence
est limité.
B.2-2
La justice distributive
Aristote
distingue trois formes de justice et d’égalité : la
justice distributive qui
concerne les rapports entre l’Etat et les citoyens pour la
distribution des biens et des honneurs ; la
justice corrective qui
a trait aux torts et à leur réparation ; la
justice commutative qui
porte sur les contrats.
Ce
qui revient à chacun, est-ce exactement autant ? Il y a des cas où
il serait injuste de réserver à tous le même traitement. L’égalité
n’est pas tout. Est-il juste, le juge qui inflige à tous les
accusés la même peine ? Le professeur qui attribuerait à tous les
élèves la même note?
L’égalité
est ici définie comme égalité
de proportions.
La justice distributive concerne essentiellement les biens de l’Etat,
même si elle est également à l’oeuvre dans les relations
interpersonnelles. Les
récompenses doivent être proportionnées aux mérites.
Dans une famille, par exemple, ce qui est juste, ce n’est pas de
donner la même part d’argent de poche à chaque enfant, mais de
les distribuer à proportion de l’âge et des besoins. Le bon
candidat recevra la bonne note, le mauvais candidat la mauvaise note.
Notion de mérite
:
si un salarié fournit un travail plus important ou de meilleure
qualité, on peut envisager de lui donner un salaire supérieur; si
un crime plus grave a été commis, la sanction doit être plus
lourde. Le Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
mérite
est la valeur morale, considérée en fonction des efforts déployés
par le sujet pour surmonter des difficultés ou vaincre des
obstacles. Ces efforts rendraient la personne estimable.
Selon
Aristote, toute société est forcée de définir des normes de
classement si elle ne veut pas être injuste en traitant tous les
hommes de la même manière, l’injustice étant de traiter
également ce qui est inégal. On peut ainsi rapprocher la justice
distributive d’Aristote des procédures par lesquelles les Etats
modernes attribuent les emplois publics en proportion du mérite (par
les diplômes, les concours, l’ancienneté, etc.), et non par des
relations d’amitié (le « piston ») ou selon le bon vouloir des
dirigeants.
B.2-3–
La justice corrective
La
justice corrective relève de ce qu’on appelle aujourd’hui la
justice pénale.
C’est l’égalité
arithmétique stricte
qui l’emporte ici. La loi n’envisage que la nature de la faute,
sans égard pour les personnes qu’elle met sur un pied d’égalité.
Celui qui commet une injustice crée une inégalité. La justice
rétablit alors la mesure en infligeant au fautif une peine qui
compense négativement l’avantage que lui avait procuré la faute,
et en donnant à la victime des indemnités qui compensent la perte
causée par l’injustice. Balance des torts causés et des peines
pose de nombreux problèmes:
Conclusion
:
A
quelles conditions donc les règles du droit sont-elles justes ? La
justice consiste à attribuer
à chacun lui est dû,
ce qui suppose qu’on dispose d’une règle permettant de mesurer
ou d’évaluer ce qui revient à chacun, et qu’on applique cette
règle équitablement. Toute la difficulté étant de définir la
règle qui permet d’évaluer de façon juste ce qui revient à
chacun. Est-ce à dire qu’aucune règle ne peut être
universellement considérée comme juste, que toutes les lois se
valent d’un point de vue moral et qu’il faut donc se borner à
suivre aveuglément le droit en vigueur – le droit positif?
C)
LES DROITS DE L’HOMME ET LE DROIT NATUREL
La
question est de savoir ce qu’il convient de faire quand les règles
du droit semblent entrer en opposition avec la morale et la justice.
Comment résoudre le conflit entre le droit et la morale? Y a-t-il
des valeurs universelles au-dessus des lois?
C.1)
Les droits de l’homme: définition et fondement. L’exemple de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La
Déclaration de 1789 s’inscrit dans la lignée des déclarations
anglaise (Bill
of Rights de
1689), qui limite les prérogatives du pouvoir royal, et américaine
(Déclaration
d’in dépendance de
1776.
Les
droits de l’homme sont les
droits de l’individu dans son rapport à la société et à l’Etat.
Les droits de l’homme sont des droits
naturels qui n’existent qu’en société.
Ils sont antérieurs en droit à la société mais irréalisables en
fait hors d’un Etat de droit. Les droits de l’homme n’existent
que comme droits du citoyens. Comme Hobbes l’a théorisé, le droit
n’existe pas à l’état de nature. L’état de nature est une
fiction théorique qui permet de penser la société comme contrat
passé entre individus qui veulent vivre en commun sans pour autant
perdre leur Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun statut
de contractants donc d’hommes libres. Les droits sont dits
“naturels” parce qu’ils
sont fondamentaux,
c’est-à-dire qu’ils servent de fondements légitimes
aux sociétés. Ils permettent
de résoudre le problème de légitimité de tout régime politique
commençant.
Parler
de droits de l’homme suppose:
- 1. Que le concept d’homme ait un sens; qu’il y ait donc un homme générique, comme le christianisme l’a rendu possible (concept d’universalité).
- 2. Que l’homme soit l’individu, c’est-à-dire qu’il soit pensable hors de la société (état de nature) comme préalable et condition de la société. L’individu n’est pas un produit de la société au sens où il n’existerait que par elle ; c’est plutôt elle qui est la résultante de l’association des individus. La conscience de soi individuelle est première et l’autonomie qui en découle doit être sauvegardée dans la forme sociale qui est seconde.
- 3. Que les individus soient égaux ; comme l’a bien repéré Rousseau, la nature ne produit que des différences mais pas d’inégalités. Les inégalités sont sociales, c’est-à-dire postérieures à l’association. L’égalité en droits relève de la nature même de l’institution de la société.
- 4. Que la souveraineté soit l’émanation de l’association et qu’elle découle de la volonté générale et non de la volonté de tous. La démocratie ne doit pas être confondue avec n’importe quelle sorte de dictature plébéienne : elle repose avant tout sur un Etat de droit qui respecte tous les individus et pas seulement la majorité.
- 5. Que la plus grande liberté possible comprise comme coexistence des libertés des individus soit le but de l’Etat de droit. La limite de cette liberté est d’une part la liberté d’autrui, d’autre part l’utilité publique (paiement de l’impôt, expropriation), mais cette utilité doit toujours être compensée et justifiée par l’intérêt général d’après une loi. La limite absolue (jamais prise en compte comme droit individuel) est la sécurité extérieure et donc la mobilisation en cas de guerre.
Fondés
sur une conception
universaliste et égalitaire de l’homme,
les droits de l’homme fournissent, dans les Etats où ils servent
de référence, un
critère pour
juger de ce qui, dans un programme politique, un projet de loi, dans
l’organisation même de la communauté, n’est pas conforme à ses
principes fondateurs. Ils définissent donc des règles
générales et des principes de justice pour l’organisation
pratique des pouvoirs publics.
Les droits de l’homme font en outre partie du droit positif, ils
ont une valeur
constitutionnelle et
constituent une référence ultime qui permet d’apprécier la
constitutionnalité des lois : la constitution française, par
exemple, commence par une déclaration des droits que garantit la
nation; la Déclaration est mentionnée dans le texte même des
Préambules des Constitutions des IVe et Ve Républiques ; elle a été
reconnue, selon les termes du décret du Conseil constitutionnel du
16 juillet 1971, comme faisant partie intégrante du «bloc
constitutionnel».
C.2)
Les droits-libertés de l’homme
Les
droits de l’homme apparaissent comme une unité, découlant d’une
idée de l’homme, et comme une pluralité, une liste de droits,
dont l’Etat doit assurer la réalité.
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
L’article
1 de la Déclaration française
de 1789 fait de la liberté l’essence de l’homme, liberté qui
est un titre à avoir des droits: «les hommes naissent et
demeurent libres et égaux en droits». Principe d’égale liberté
contre les privilèges de l’ancien ordre hiérarchique.
L’article
2 précise
que la fonction de toute « association politique» est la «conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme.
Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la
résistance à l'oppression». C’est parce que ces droits
appartiennent à la nature de l’homme qu’ils sont
“imprescriptibles” (qui n’est pas susceptible de prescription,
la prescription étant le délai au terme duquel on ne peut plus
poursuivre l’exécution d’une obligation ou la répression d’une
infraction) et “inaliénables” (Préambule). Ils s’imposent à
toute autorité politique quelle qu’elle soit. Ces droits sont donc
attachés naturellement à l’homme, il est nécessaire de les
conserver, l’Etat est fait pour l’individu et non l’inverse.
Deux
catégories
de droits: les droits de l’homme, antérieurs à la société,
indépendants de son existence; les droits du citoyen, qui
concernent la participation de ceux-ci au pouvoir politique. Les
droits de l’homme sont des libertés, les droits du citoyen des
pouvoirs.
La
liberté
: premier de tous les droits. Définie comme faculté: «faire tout
ce qui ne nuit pas à autrui…». L’homme est libre de faire ce
qu’il veut de sa liberté, la seule détermination de la liberté
étant la non-ingérence dans l’espace de la liberté d’autrui ;
le rôle de la loi n’est que de placer des bornes pour protéger
ces espaces de tout empiétement des uns sur les autres. La loi est
faite pour m’interdire qu’on m’empêche de jouir de mes droits.
La
Déclaration
en déduit un certain nombre de libertés particulières :
- liberté personnelle (article 7): «Nul ne peut être accusé, arrêté, ou détenu, que dans les cas déterminés par la loi, et selon les termes qu’elle a prescrites»;
- liberté d’opinion et de conscience (article 10): «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses»;
- liberté d’expression et de presse (art.11): «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi»;
- la propriété, condition essentielle de la liberté de l’individu (art.17).
Après
la liberté, le principe d’égalité est précisé : égalité
devant la loi et devant la justice («La loi doit être la même
pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse» (art.6); égalité devant l’impôt («Pour l’entretien de la force
publique et pour les dépenses d’administration, une contribution
commune est indispensable; elle doit être également répartie
entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés» (art.13).
Après
avoir énuméré les libertés fondamentales auxquelles nul ne peut
porter atteinte, la Déclaration définit les bases d’un pouvoir
politique capable de les garantir. Article 6 où l’on retrouve les
principes de la démocratie grecque: égale participation de tous
les citoyens à la formation de la loi ; les hommes auront accès aux
fonctions politiques en fonction de leurs « vertus et de leurs
talents» - de leurs mérites – et non en fonction du privilège
de la naissance.
La
Déclaration envisage enfin la question de la mise en application des
principes définis. Comment ces principes peuvent-ils devenir une
réalité effective face à des gouvernants, qui, Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
bien
que démocratiquement élus, voudraient abuser de leur pouvoir et
porter atteinte aux droits de l’homme?
Première
réponse apportée par l’article 2: le droit de résistance à
l’oppression qui ne vaut que dans des situations extrêmes et qui,
de ce fait, laisse entendre qu’on ne devrait pas avoir besoin de
recourir à ce droit si l’Etat offre dans son fonctionnement
ordinaire des garanties suffisantes. Il invite surtout à organiser
les pouvoirs publics et la Constitution de façon à empêcher qu’un
gouvernement ne se comporte de façon despotique.
Montesquieu
proposera comme solution à ce problème la séparation des pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire.
C.3)
Droits civils, politiques et sociaux
Les
droits de l’homme sont ainsi définis de manière différente,
suivant l’extension qu’on donnera à ce principe d’égalité:
les droits
civils et politiques,
appelés également droits-libertés,
exigent, en effet, que tous les citoyens jouissent des mêmes
libertés; les
droits sociaux,
ou droits-créances,
exigent la réduction de l’inégalité des situations.
La
première déclaration des droits de l’homme de 1789 consiste
essentiellement en « droits à faire quelque chose » : liberté de
faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, liberté d’opinion,
liberté de pratiquer la religion de son choix, etc. Il s’agit de
droits
civils et politiques,
ou droits-libertés,
définissant
pour l’individu des possibilités intellectuelles (liberté de
pensée, liberté d’expression, liberté de culte…) ou physiques
(liberté du travail, liberté du commerce, liberté de réunion…).
La
révolution de 1848 inaugure une ère nouvelle en posant, pour la
première fois, la question des droits sociaux ou droits-créances:
volonté d’apporter un complément aux principes de 1789 rendu
nécessaire par la révolution industrielle et l’apparition du
problème de la condition ouvrière. Double influence du marxisme et
du catholicisme social. L’Etat va se proclamer responsable sinon du
bonheur, du moins du mieux-être de tous les citoyens, envers qui il
se reconnaît des devoirs.
Ces
droits sociaux vont
être inscrits dans les Constitutions, notamment après 1945:
déclaration
soviétique des
“droits du peuple travailleur et exploité” (1918); mention,
dans la Constitution de l’URSS stalinienne (1936), des “droits
économiques et sociaux” (droits au travail, au repos, à
l’instruction, etc.); en France, c’est dans le Préambule
de la Constitution de 1946 que
les droits-libertés sont complétés par la proclamation des droits
sociaux (“droit d’obtenir un emploi”, “droit de défendre son
emploi par l’action syndicale”, droit de grève, etc.);
Déclaration
universelle des droits de l’homme,
adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des
Nations Unies (droits-libertés des art. 3 à 21, droits économiques
et sociaux des art.22 à 27 : droits à la sécurité sociale; au
travail, droit au repos, droit à un niveau de vie suffisant, etc.).
Ces
droits sociaux signifient que chacun peut exiger de l’Etat qu’il
lui donne l’instruction, un travail, la possibilité d’avoir des
soins de qualité, etc. On peut penser le lien entre les
droits-libertés, ou droits formels, et les droits-créances comme le
passage
de la reconnaissance formelle de la liberté à la liberté effective
dans l’Etat.
Mais ces droits peuvent aussi entrer en contradiction et déboucher
sur deux conceptions opposées de l’Etat.
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
En
effet, l’apparition, à côté des droits-libertés, des
droits-créances, a introduit d’importantes modifications dans la
conception des rapports entre société et Etat. Les droits civils
et politiques participent d’une théorie des limites de l’Etat,
conçu comme devant se borner à garantir aux citoyens le maximum de
possibilités d’action compatibles avec l’existence d’une
société; les drois civils sont des libertés que l’Etat
garantit à tout homme, qu’il soit citoyen ou non :
égalité devant la loi, sécurité, protection contre l’arbitraire
du pouvoir, propriété, liberté de conscience et d’opinion; les
droits politiques confèrent un pouvoir à l’individu considéré
comme citoyen : participation à l'élaboration de la loi, droit de
consentir à l’impôt. Ces droits permettent de défendre la
liberté individuelle à l’égard de l’Etat.
Cette
conception s’articule sur la représentation d’un Etat
minimum se
bornant à protéger l’autonomie des citoyens. Les
droits sociaux impliquent
au contraire que l’on attende de l’Etat la capacité de fournir
des services, d’intervenir dans la sphère sociale, notamment pour
assurer une meilleure répartition des richesses et corriger les
inégalités Etat-Providence
capable
de contribuer, par des prestations positives, à la naissance de
cette “sécurité matérielle” garantie à chacun.
De
là un clivage entre la
tradition libérale et
la
tradition socialiste :
la perspective libérale souligne le danger de toute politique qui se
préoccupe de faire le bonheur des hommes; refus des droits-créances,
idée que l’affirmation des droits sociaux est un premier pas en
direction d’un Etat tentaculaire, sinon totalitaire. La perspective
socialiste qui insiste sur les droits sociaux, et n’attache qu’une
importance relative aux droits-libertés considérés comme des
droits purement formels; valeurs de la justice sociale privilégiées.
Pourtant,
il n’y a pas d’opposition entre les
droits civils et politiques,
et les
droits sociaux,
et ce pour trois raisons (nous reprendrons ici l’analyse de P.
Canivez, in Eduquer
le citoyen ?)
:
- 1. Fondement moral des droits de l’homme : reconnaître à autrui la qualité de sujet, c’est lui reconnaître ipso facto le droit à l’éducation ; l’un des droits fondamentaux de tout homme, avec la liberté, est d’avoir les moyens intellectuels de la liberté. Or, l’éducation, si l’on veut qu’elle soit efficace, suppose les droits sociaux, c’est-à-dire un minimum d’aisance matérielle.
- 2. Le problème n’est peut-être pas de défendre l’individu contre l’Etat, dans la perspective libérale, condamnant ainsi les droits sociaux, mais de défendre l’Etat de droit qui doit intervenir pour garantir l’éducation et l’instruction de tous. L’intervention de l’Etat dans la vie sociale fait partie des garanties du respect des droits de l’homme. Dès lors, le respect des droits de l’homme se confond avec la revendication de l’Etat de droit. Les droits de l’homme sont à la fois une idée morale et une conception politique : ils définissent une certaine conception de l’Etat, fondée sur le respect inconditionnel de la personne ; il s’agit de pousser l’Etat à s’organiser en vue d’un respect toujours plus grand de l’égalité des individus en tant que sujets;
- 3. Passé un certain degré de développement, un Etat qui veut rester puissant ne peut pas se permettre de nier les droits de l’homme : ces derniers sont la condition fondamentale de la participation active des citoyens à l‘effort collectif; intégrer les individus dans la société, en liant les droits sociaux à un travail qui, pour être performant, doit être perçu comme un intérêt. Ici le respect des droits de l’homme répond à une nécessité sociale et à un calcul politique
- Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun
- (rappelons que ce point a été développé par Kant à propos de la possibilité de la paix mondiale, in Idée d’une histoire universelle…).
D)
CRITIQUES ET DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME
Loin
d’être une évidence, les droits de l’homme ont été et sont
toujours contestés. Les droits de l’homme : évidence ou problème
?
D.1)
Critiques des droits de l’homme
Venues
d’horizons divers, on peut grouper ces critiques en trois
catégories:
D.1-1)
Critiques traditionalistes et naturalistes
Les
doctrines
racistes ou fascistes notamment.
La déclaration des droits de l’homme est un artifice humain qui
contredit les hiérarchies naturelles et sape le principe d‘autorité
nécessaire à la cohésion sociale.
D.1-2)
Critiques du formalisme des droits de l’homme
Des
courants très divers constituent ce courant critique qui reproche
aux droits de l’homme leur abstraction.
L’homme est toujours le produit d’une histoire, et cette histoire
n’est pas universalisable. D’une part, l’homme en général
n’existe pas : il n’existe que des peuples qui ont des traditions
et des histoires spécifiques ; d’autre part, le droit ne peut être
que positif, c’est-à-dire relever d’une certaine dynamique
nationale, d’un certain esprit qui n’est jamais transposable.
Enfin, chaque pays est à un moment de son histoire, et ne peut
prétendre faire table rase du passé et tout reconstruire
brutalement. L’idée de droits anhistoriques d’un homme général
et donc abstrait serait une pure fiction intellectuelle déconnectée
de la réalité. Fiction dangereuse puisqu’elle n’envisage pas
les devoirs que chacun a envers la communauté à laquelle il
appartient.
C’est
notamment la critique qu’adressent Marx et les anarchistes aux
droits de l’homme. Les droits
de l’homme sont purement formels et sont vides de tout contenu
effectif.
Ils sont un des éléments de l’idéologie dominante et tendent à
entretenir la fiction de l’universel que prétend incarner l’Etat
bourgeois.
Ces
droits redéfinissent l’homme comme “homme égoïste” et
“séparé de la communauté”; l’homme devient une “monade
isolée, repliée sur elle-même”. La liberté est à comprendre
comme indépendance, c’est-à-dire séparation, repliement sur la
propriété dont la sûreté est également assimilée à un droit.
Les droits de l’homme sont en fait ceux du propriétaire. Cette
nouvelle conception de l’homme correspond à la spécificité du
mode de production capitaliste en tant qu’il se différencie du
mode précédent. Les droits de l’homme ne sont pas transcendants à
l’histoire mais en sont un produit ponctuel appelés à être
dépassé.
En
conséquence, ces droits ont beau prétendre valoir pour tous, ils ne
valent que pour ceux qui possèdent quelque chose. Quel
sens peut bien avoir le droit à la sûreté et à la propriété
quand on ne possède rien et que l’égalité n’est que formelle ?
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
La
distinction de la société et de l’Etat, de l’homme et du
citoyen, sur laquelle reposerait l’idéologie des droits de l’homme
est contestée. Marx condamne, dans la société bourgeoise,
l’autonomisation de la société civile par rapport à l’Etat qui
s’exprime notamment par la séparation des droits de l’homme et
des droits du citoyen. La distinction de l’homme et du citoyen
n’a lieu en réalité que pour garantir plus sûrement le libre jeu
des intérêts privés qui continuent de régir les relations entre
les hommes. La société
bourgeoise reste, malgré la générosité de ses intentions
affichées, une société égoïste, orientée vers le profit privé
et fondée sur des rapports de force qui tendent à isoler les
individus les uns des autres. Il s’agit pour Marx de soumettre la
société civile au principe de l’intérêt commun dont l’Etat
prétend se faire l’instrument, de réintégrer le civil dans le
politique, la société dans l’Etat, permettant ainsi la
disparition de l’Etat comme sphère distincte de la société.
La
position libérale entend, au contraire, protéger la distinction
entre société et Etat, ce pour quoi la référence aux droits de
l’homme doit être mobilisée. En effet, la valorisation de la
division entre société et Etat implique la présence insistante,
dans la tradition libérale, d’un discours sur les droits de
l’homme, ces derniers étant considérés comme des limites
capables de prévenir les risques d’une confusion totalitaire entre
le civil et le politique. Mais référence aux seuls et authentiques
droits de l’homme qui sont les droits-libertés. Refus de l’idée
de justice sociale considérée comme inégalitaire.
D.1-3)
Critique relativiste
Cette
critique relativiste, la plus redoutable et inexpugnable, est dirigée
contre l’universalité des droits de l’homme. Ces droits
renvoient à une certaine conception de l’homme qui est née en
occident et qui ne vaudrait que pour ceux qui appartiennent à cette
culture.
Le
relativisme est une doctrine très séduisante et fort utile, qui
fonde le principe de la tolérance et du respect des autres, comme
l’a si bien montré Montaigne dans Les
Essais.
Le
relativisme semble d’abord avoir de son côté les sciences
humaines (l’ethnologie et la sociologie notamment) qui nous
apprennent que les cultures sont diverses et spécifiques : la
culture est considérée comme l’ensemble des pratiques, des
croyances, des institutions qui font l’unité d’un peuple ou d’un
groupe social. Idée
d’une relativité des cultures :
elles sont toutes spécifiques, aucun critère ne permet de décider
si l’une est supérieure à l’autre; les droits de l’homme sont
l’expression d’une culture occidentale; il est donc illégitime
d’en tirer argument pour condamner certaines pratiques qui ont un
sens dans d’autres cultures. Ainsi la soumission de la femme dans
certains pays, la pratique des mutilations sexuelles ne pourrait -
elles être condamnées au nom des droits de l’homme puisque ce
serait une sorte de « racisme culturel » que de dénoncer une
culture différente qui possède ses valeurs propres. Le refus de
l’ethnocentrisme empêche de juger; la compréhension de l’univers
culturel impose d’accepter. Définition
de la tolérance comme acceptation inconditionnelle des différences.
La
position relativiste est implicitement celle du positivisme juridique
:
la réduction du droit au fait, le refus d’une norme du droit –
le droit naturel – s’appuient généralement sur le constat de la
variabilité des systèmes de droit, suivant les Etats, les
traditions nationales, les religions, etc. Vouloir ramener cette
diversité à des principes communs, c’est se comporter de manière
purement extérieure et manquer la compréhension de chaque système
de droit positif.
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
La
question que pose la critique relativiste est de taille : l’idée
de liberté et d’égalité entre individus est-elle universalisable
? Au nom de l’égalité entre les cultures, peut-on accepter
ailleurs l’inacceptable chez soi (l’excision des filles, la
soumission des femmes, le travail des enfants, l’esclavage, etc.) ?
L’attitude morale contraint-elle à respecter les différences
entre les cultures ou à dénoncer des violences qui restent
immorales quand bien même elles seraient le produit d’une autre
culture ? La compréhension de la culture de l’autre conduit-elle à
l’acceptation de tout ou y a-t-il des valeurs transcendantes aux
cultures et à leur relativisme?
D.2)
Défense des droits de l’homme
Nous
limiterons cette partie à la mise en évidence des dangers et
paradoxes du relativisme qui semble être la position critique la
plus difficile à infirmer.
Le
relativisme peut conduire à une position
d’acceptation de l’ordre existant.
Il peut même devenir, au nom de l’exotisme, un auxiliaire du
sous-développement. Si l’on ne peut pas juger le droit, au nom de
quoi va-t-on refuser des lois manifestement inacceptables?
Certes,
la relativité des cultures est un fait. La compréhension d’une
culture est un principe de non-violence et de tolérance. Mais la
tolérance et l’acceptation des différences ne sont pas les seules
valeurs morales.
La liberté, le respect de la dignité humaine sont sans doute des
valeurs bien plus fondamentales. Comprendre,
connaître ne signifient pas accepter ;
la connaissance ne saurait se substituer au jugement, la
science ne remplace pas la morale (comprendre
les causes, les circonstances d’un crime n’implique pas de
l’accepter, comme le montre le fonctionnement d’un procès
judiciaire). Or, le relativisme aboutit justement à cette idée que
le nazisme, l’intégrisme religieux sont compréhensibles et donc
acceptables.
Cette
question du relativisme nous invite à réfléchir sur la
signification de la tolérance puisque, sur le plan moral, c’est au
nom de la tolérance que le relativisme prétend se justifier. Or,
être tolérant, est-ce tout tolérer ? En
réalité, même pour un esprit tolérant – et surtout pour lui ! –
il y a de l’intolérable, de sorte que la tolérance sans limite
paraît synonyme d’indifférence ou d’acceptation passive de
tout. Donnons un exemple.
Sur
le plan politique, une mentalité tolérante, c’est-à-dire
démocratique, ne risque-t-elle pas de se condamner à disparaître
si elle admet comme tolérables les opinions et les actes qui
cherchent à la contester ou à la détruire (faut-il accorder la
liberté aux ennemis de la liberté ?) ? L’intolérance ne peut que
se fortifier si elle ne rencontre pas d’obstacles (voir, en France,
le débat sur les responsabilités quant à l’émergence politique
et électorale des organisations d’extrême-droite). Etre
tolérant ici, c’est ne reconnaître comme admissibles que les
formes « faibles » de l’intolérance,
capables de s’insérer dans un débat, et compatibles avec la
démocratie et le respect de la personne humaine.
Si
l’on définit la tolérance comme le principe fondé sur l’égale
liberté et dignité des convictions qui exige de ne pas contraindre
une opinion lorsqu’elle est contraire à la sienne, la
tolérance suppose la réciprocité.
Lorsque celle-ci n’est pas établie, l’intolérable apparaît
(camps d’extermination, génocides, tortures, etc.). La tolérance
n’est pas synonyme d’un relativisme absolu des valeurs qui
n’aboutit qu’à la disparition de toute exigence éthique. Si les
comportements s’enracinent bel et bien dans des cultures
différentes, cela ne signifie pas que tout doit être justifié.
Doivent demeurer
intolérables les pratiques qui mettent en cause
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
l’intégrité
de la personne humaine. La tolérance se veut du côté de la raison
et de l’universalité.
Il
ne suffit donc pas de prendre en compte la relativité des cultures,
il faut
reconnaître également l’universalité de certains principes
éthiques dont la validité n’est pas limitée au domaine d’une
culture donnée.
Ces principes, ces normes sont posés comme transcendants, dès lors
qu’ils sont définis, non comme un fait, mais comme un idéal dont
il faut sans cesse se rapprocher. De même, les sciences humaines ne
peuvent rien démontrer contre une exigence de liberté puisqu’elles
reposent elles-mêmes sur la certitude - ni démontrée ni
démontrable - que la liberté et l’universalité sont possibles.
Les sciences humaines ne peuvent nier la certitude de la liberté et
le devoir de la préserver qu’en niant leur propre fondement.
Il
est dès lors possible de concilier
la science et le droit :
la compréhension scientifique n’implique pas l’approbation
inconditionnelle. La relativité des cultures et les droits de
l’homme ne se situent pas sur le même plan. Notre façon de vivre
comporte, en effet, un certain arbitraire, de sorte qu’on peut la
comparer avec d’autres modes d’existence. Mais les principes de
jugement fondés sur le respect de la personne nous servent pour
juger de notre propre façon de vivre. Le principe moral qui sert de
critère fonde un jugement critique. Il ne définit pas un mode
d’existence parmi d’autres. Il ne nous dit même pas quel mode
d’existence il faut adopter (cela dépend de l’inventivité, des
goûts propres à l’individu…).
Ce
principe critique définit ce qui, dans notre façon de vivre aussi
bien que dans n’importe quelle autre, est inacceptable. Les
droits de l’homme ne promettent rien : principes d’évaluation
critique, ils permettent de déterminer ce qui n’est pas
acceptable; ils ne fournissent aucun programme d’action; ils
déterminent les critères qui permettent de juger.
Ils reposent sur un critère comparable à celui de la loi qui
prévoit, par exemple, des sanctions pour « non assistance à
personne en danger » (Code pénal, art. 63). L’obligation
d’assistance ne contient pas la promesse que tous les accidents
seront sauvés. Mais on peut être condamné pour n’avoir rien
tenté.
Enfin,
on peut remarquer qu’un accord, au moins formel, est possible sur
la définition d’une éthique universelle, malgré la diversité
des civilisations et la relativité des cultures. La Déclaration
universelle de 1948, par exemple, a été adoptée à une
quasi-unanimité (aucun Etat n’a voté contre, et huit seulement,
contre quarante-huit, se sont abstenus), même si, bien évidemment,
il y a une distance entre l’affirmation des principes et la réalité
des pratiques. Les droits de l’homme, en somme, ne sont pas une
culture; ils définissent les principes formels qui permettent de
juger des cultures, à commencer par la nôtre.
Conclusion
:
Le
droit désigne donc non seulement l’ensemble
des lois existantes qui
se forgent dans le temps et dans l’espace au gré des rapports de
forces, mais aussi
un principe évaluatif qui définit le légal et le légitime.
L’idéal étant que le légal et le légitime coïncident, sans
pour autant que le légitime perde sa fonction évaluatrice et
critique. Qu’il ait son fondement dans quelque ordre transcendant
(Dieu) ou immanent (nature) ou dans la volonté consciente et
raisonnable des hommes (les doctrines du contrat social), le droit a
pour fonction de faire
régner la justice et l’ordre dans la cité,
en garantissant la coexistence
des libertés.
Si le droit et la justice ne s’épuisent pas dans le droit positif,
on peut lire dans les droits de l’homme une
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
incarnation
authentique de l’exigence d’universalité et de distanciation
critique par rapport à la sphère du fait. En ce sens, la justice
est bel et bien la vertu et la norme du droit.
La question se pose maintenant du rapport entre la politique et le
droit : la politique peut-elle se conformer au droit ?
- III) LA POLITIQUE ET LE DROIT
A
la différence de la morale, le droit doit pouvoir disposer de la
contrainte pour atteindre ses objectifs. D’où la nécessité, pour
l’Etat et le droit, d’exercer une contrainte pour faire respecter
l’ordre de la loi, par le recours à la force. Il existe en effet
une violence du
droit,
une violence légale, voire légitime, qui fonde le droit, qui
débouche sur le droit, même si le droit substitue pourtant le règne
de la règle à l’incertitude des rapports de force. Il est, en
effet, des cas où la violence semble se justifier (légitime
violence, résistance à l’oppression, etc.. ). Mais s’il peut y
avoir un droit à la violence, l’Etat n’en est-il pas le
dépositaire ? Que faire alors dans le cas où l’Etat bafoue le
droit, où le loi est injsute ? Comment donc envisager la dialectique
du droit et de la violence ? Comment donc faire en sorte que la
justice soit forte et que la force soit juste ?
A)
LE DROIT ET LA FORCE : LA FORCE DU DROIT
La
force peut-elle être au service du droit ?
A.1)
Force et violence
Distinguons
la violence de la force qui sont souvent confondues. La
force,
en son sens philosophique fondamental, est énergie, maîtrise de soi
(exemple de la fermeté stoïcienne), principe de puissance et
d’action, déploiement de la volonté souveraine. La
violence désigne
au contraire la puissance déchaînée, non maîtrisée par la raison
et le discours, une puissance corrompue, à base de colère, par
laquelle un sujet exerce une contrainte sur autrui, de telle sorte
qu’il exécute et réalise ce qui est cependant contraire à sa
volonté et à ses fins.
A
la différence de la force qui est maîtrise de la volonté, la
violence refuse de convaincre par persuasion pour contraindre
l’interlocuteur ; elle fait partie des moyens «durs» du pouvoir
: «La violence est cette impatience dans le rapport avec autrui,
qui désespère d’avoir raison par raison et choisit le moyen court
pour forcer l’adhésion… La violence se situe à l’opposé de la
force, car l’énergie qu’elle met en oeuvre n’est que l’énergie
du désespoir» (G.Gusdorf, La
vertu de force).
La
violence naît souvent d’un effort pour compenser un sentiment
d’infériorité, effacer une frustration (la violence du coléreux),
alors que la force est le pouvoir effectif d’exercer une action sur
quelque chose ou sur quelqu’un. La force morale, par exemple, est
une puissance souveraine, un principe d’action qui implique la
maîtrise de soi. La violence apparaît alors comme l’expression
d’une faiblesse secrète.
Il
faut aussi distinguer, selon Julien Freund (in Qu’est-ce
que la politique?),
la force
publique,
dont dispose le pouvoir, et la violence : « dès que la force est
contestée naît la violence ». Alors que la force contraint, la
violence opprime : la violence consiste dans un emploi de la force
pour nier l’autonomie, l’intégrité physique, voire la vie de
l’autre. En ce sens,
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
la
violence est une contrainte physique ou morale tendant à faire
réaliser par un individu ou un groupe ce qui est contraire à leur
volonté.
Si
le droit a besoin de la force pour sanctionner les transgressions et
pour avoir force de loi, il a ceci de caractéristique qu’il
transforme
essentiellement la nature de la force:
le droit use de la force pour sanctionner une transgression et non
comme motif des actions; la force est alors proportionnée et son
usage est décrété par une puissance impartiale. Le droit suppose
ainsi une puissance publique, supérieure aux rapports de force qui
régissent inévitablement les rapports interindividuels. Qu’est-ce,
en effet, qu’un droit dont le respect n’est pas assuré ? Comment
assurer le respect du droit si les sujets de droit ne sont pas soumis
à une autorité commune ? Si la loi ne s’applique pas à tous et
si personne n’est en mesure de la faire respecter, on passe du
droit à la force sans délai.
Si
la force est du côté du droit comme nous allons le voir par la
suite, la violence est désordre, tandis que le droit a toujours pour
fonction d’exprimer et de maintenir un certain ordre social, de
garantir la paix et la sécurité civiles. La violence est du côté
du fait, alors que le droit est de l’ordre de la valeur, du
jugement, de la norme.
A.2)
Du droit du plus fort
Mais
cette distinction entre fait et norme se brouille quand on fait
mention du «droit du plus fort», en suggérant par là que celui
qui dispose en
fait d’une
supériorité physique est en
droit d’imposer
sa loi à ceux sur qui il l’emporte («le plus fort a toujours
raison»). C’est au nom d’une telle conception qu’on a
justifié, dans l’Antiquité, la fréquente réduction en esclavage
des prisonniers de guerre. Or y a-t-il un droit du plus fort ? La
thèse de Rousseau (in Contrat
social,
I, 3) est la suivante : la force ne saurait à elle seule fonder
l’autorité; la supériorité physique ne peut créer aucun
pouvoir durable. La fontaine, dans Le
loup et l’agneau,
n’a pas raison d’affirmer que «la raison du plus fort est
toujours la meilleure».
Le
raisonnement de Rousseau est le suivant : si la force ne fonde pas le
droit, le
droit suppose une soumission volontaire, une reconnaissance, un acte
d’assentiment de l’esprit.
Or la
force,
si elle peut me contraindre, ne
m’oblige pas :
elle n’implique pas que je me soumette à elle en esprit. Ma
soumission est le fruit de ma faiblesse. Mais ce constat n’entraîne
pas une reconnaissance légitime. L’obligation
est une obéissance volontaire et légitime ;
la
soumission est le fait d’obéir à une puissance contre son gré;
l’autorité
est le pouvoir légitime d’imposer l’obéissance, de commander à
autrui (il
s’agit ici d’une obéissance acceptée excluant la violence
directe); l’obéissance
est l’acte par lequel les individus se plient volontairement à la
loi ou à l’ordre légitimes.
La force est une puissance physique de l’ordre du fait, et non du
droit, un principe de puissance corrompue, un impatience dans la
relation à autrui.
Le
rapport nature / force / droit avait déjà été exposé par le
sophiste Calliclès dans le Gorgias
de
Platon. La force fait droit parce qu’elle relève de la nature,
alors que la convention est contre-nature : « le luxe,
l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la
force, constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces
belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que
niaiseries et néant » (Gorgias,
491-492).
Tous ceux qui prétendent aller contre la nature au nom de la morale,
dit Calliclès, ne font que masquer leur propre faiblesse : ce détour
par la morale est une ruse des faibles contre les forts pour leur
subtiliser le pouvoir.
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
Or,
si la force prétend faire droit, c’est parce qu’elle ne peut
plus se soutenir comme force. Le prétendu droit du plus fort est un
subterfuge, un “sophisme” pour que le fort puisse se maintenir,
alors qu’il n’est plus en mesure de la faire. Le problème du
pouvoir instauré par la force est, en effet, la durée. Machiavel
avait bien vu qu’il s’agissait là d’un problème de technique
politique essentiel, puisqu’il s’assignait un double objet dans
Le Prince (publié en 1532) :
étudier la conquête du pouvoir et sa conservation.
La
force est une puissance physique.
Comme telle, elle a des effets qui durent autant qu’elle. Mais
le plus fort n’est jamais assez fort pour faire durer sa position
par la force.
Il a alors recours à une mystification, qui constitue la ruse
politique par excellence : il dissimule le véritable état de fait
(rapport de forces), et substitue à la force un fondement juridique.
Toute l’opération consiste à entériner l’état de fait, à
camoufler l’origine réelle du pouvoir, en lui donnant un fondement
intemporel, de façon à garantir l’avenir.
«
Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître
s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir…
» La
force a par nature un caractère instable :
le plus fort exerce sa domination aussi longtemps qu’il ne
rencontre pas un plus fort que lui; elle a donc besoin de l’artifice
du droit pour dépasser cette caducité (faire croire que la
soumission n’a pas pour motif la seule force physique mais la
référence à un principe de légitimité).
Il
y a contradiction entre les termes “force” et “droit”:
la force produit ses effets avec nécessité; céder à la force est
un fait inévitable et prévisible, qui est contenu dans la force
comme l’effet dans la cause. D’un
fait on ne peut tirer une norme : obéir au plus fort n’est pas un
devoir, c’est tout au plus une nécessité (sauf
pour les têtes brûlées ou les kamikazes), et celui qui dispose
d’une supériorité physique n’est pas en droit d’imposer quoi
que ce soit. La
relation au droit,
à l’opposé, suppose une autorisation ou une injonction qui peut
être ou non suivie d’effets : elle n’est
efficace qu’en vertu de l’adhésion de la volonté et suppose
donc la liberté du sujet.
Mais aucune force ne peut se transformer en droit : la force étant
une puissance physique, aucun effet moral (juridico-politique) ne
peut en sortir. Céder à la force est donc une simple nécessité
physique, non un devoir moral.
Il
ne faut donc pas obéir à la force par devoir:
le devoir ne convient qu’envers le pouvoir légitime. Il
n’y a pas plus d’obligation d’obéir à celui qui exerce un
pouvoir par la force qu’à un brigand ;
désobéir face à un tel homme est aussi légitime que de se soigner
quand on souffre d’une maladie. Encore faut-il être en mesure de
faire la différence entre un pouvoir fondé sur la force, mais qui
s’est paré d’un discours de légitimité, et un pouvoir
réellement légitime. Cela suppose la capacité d’analyser le
discours politique de façon à le démystifier : cela suppose
l’éducation.
L’argument
de Rousseau met bien en valeur la différence de nature existant
entre le fait et le droit. La référence au droit suppose toujours
la parole : elle relève d’abord du jugement : “Tu n’as pas le
droit”; “J’ai le droit”. Il s’agit, dans ces expressions,
de comparer ce qui est à ce qui doit être. Le fait s’impose:
produit par des causes, il est toujours explicable et son existence
est incontestable. La force, par exemple, qui est de l’ordre du
fait, a toujours une certaine forme d’autorité : “ça ne se
discute pas”. Mais l’argument du droit consiste à contester le
bien-fondé de ce qui cherche à s’imposer par sa seule présence.
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
Conclusion:
Le
droit n’est pas invoqué uniquement pour porter un jugement de
valeur sur un fait, mais aussi pour conformer
la réalité à l’idée, à l’exigence, à la valeur (celle
de justice, en l’occurrence). Aussi le droit doit-il avoir une
certaine efficacité, pour ne pas rester cantonner dans l’idéal :
il doit avoir “force de loi”. Le
droit a besoin de la force pour sanctionner les transgressions et
pour avoir force de loi. En ce sens, la force est la violence légale
et légitime, au service du droit et de la justice. Nous
sommes alors confrontés à un paradoxe : le droit exclut la force,
la vengeance, la violence privée, il est du côté de la raison , de
l’ordre, de la non-violence, de la paix; il suppose pourtant la
force s’il veut se faire respecter et s’incarner dans la réalité,
c’est-à-dire dans la loi. La question du rapport entre la violence
et le droit rebondit avec le problème du droit et de punir.
B)
LE DROIT DE PUNIR
Si
l’idée de droit équivaut à un désaveu de la violence, la
violence est présente à la source même du droit, dans son exercice
et notamment dans les sanctions prévues contre ceux qui violent le
droit. Mais le droit transforme la violence en force par un processus
de rationalisation, de légalisation et de légitimation. On ne
confondra donc pas sanction et vengeance, de même que la peine de
mort ne saurait être assimilée à un seul assassinat de la part de
l’Etat. Certes, plus les lois sont justes et moins la contrainte
est nécessaire. La sanction semble justifiée par la possibilité
permanente, inscrite dans la notion de loi elle-même, de la
transgression, de la désobéissance, qui renvoient à l’égoïsme
ou à la méchanceté de l’homme. Le problème est alors posé du
droit de punir, de la violence pénale, de la sanction juste :
pourquoi punir et de quelle manière?
B.1)
La notion de peine
«Le droit pénal englobe l’ensemble des sanctions pénales attachées
à des attitudes ou manières déviantes précisément définies,
comme le Droit est l’ensemble des sanctions civiles ou pénales
attachées à des attitudes réprouvées par le groupe… » (F.J.
Pansier, La
peine et le droit, p.8).
Selon Durkheim, la peine est « une réaction personnelle,
d'intensité graduée, que la société exerce par l'intermédiaire
d'un corps constitué sur ceux de ses membres qui ont violé
certaines règles de conduite ». On parle ainsi de «déviance»
pour qualifier toute attitude non conforme à la convention sociale.
La
peine ne prévient pas seulement des atteintes injustes à l’ordre
social, elle est aussi censée protéger des punitions injustes. On
peut penser la peine soit comme le fait d’affliger et de punir (il
ait sévir parce qu’une faute a été commise), soit comme la juste
rétribution par la société d’une attitude déviante, en fonction
du besoin de sécurité de l’ordre public. La
doctrine de la rétribution se
divise en rétribution
morale et
rétribution
juridique.
La rétribution morale désigne une exigence profonde que le mal soit
rétribué par le mal, comme le bien doit être récompensé d'un
bienfait. La doctrine de la rétribution juridique (Kant, Hegel)
considère le délit comme rébellion de l’individu à la volonté
de la loi, et de ce fait exige une réponse qui sera une
réaffirmation de l’autorité étatique.
Nous
avons vu que la justice
corrective,
au sens aristotélicien, est la justice qui rétablit l’égalité
violée par l’acte délictueux, c’est-à-dire contraire au droit.
Or, cette définition apparaît insuffisante, dans la mesure où elle
limite l’action du droit à la simple réparation des torts (le
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
voleur
doit rendre ce qu’il a volé ; si j’ai causé un tort, je dois
indemniser la victime…) et tombe ainsi dans la loi du talion (le
meurtrier doit être tué, le voleur doit avoir la main coupée,
etc.)
D’où
la notion moderne de proportionnalité
de la peine.
Il s’agit d’établir une relation entre une série d’attitudes
déviantes et les peines. Cette idée remonte sans doute à Platon
qui, dans le Gorgias
(523
a-524 a), décrit les hommes, à l’heure de la sentence finale, qui
sont jugés et sanctionnés sur leur vie, leurs actes, leurs mérites,
avec un strict respect du principe de la proportionnalité et de la
personnalisation de la peine : non à tous la même peine, mais à
chacun selon sa faute. Ce principe de proportionnalité a aujourd’hui
valeur de principe constitutionnel ayant vocation à régir
l’ensemble du droit pénal.
Cette
proportionnalité de la peine est elle-même fondée sur une
hiérarchie des infractions selon le principe du degré de gravité.
Ainsi le code pénal français distingue-t-il trois catégories
d’infractions qui sont jugées par différentes juridictions
compétentes (du tribunal de police pour les infractions les moins
graves – les contraventions – jusqu’à la cour d’assises pour
les infractions les plus graves – les crimes) : contraventions,
délits, crimes.
B.2)
La vengeance (texte de Hegel)
La
punition,
envisagée comme sanction légale, voire légitime, est à distinguer
de la
vengeance,
violence privée et illégale, en vertu du principe que la loi
transforme la violence en force et que « nul n’a le droit de se
faire justice soi-même ». Sur quoi cette distinction se
fonde-t-elle ? C’est à cette question que le texte suivant de
Hegel répond.
Texte
de Hegel
«
La vengeance se distingue de la punition en ce que l’une est une
réparation obtenue par un acte de la partie lésée, tandis que
l’autre est l'oeuvre d'un juge. C’est pourquoi il faut que la
réparation soit effectuée à titre de punition, car, dans la
vengeance, la passion joue son rôle et le droit se trouve ainsi
troublé. De plus, la vengeance n’a pas la forme du droit, mais
celle de l'arbitraire, car la partie lésée agit toujours par
sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien le droit qui prend
la forme de la vengeance constitue à son tour une nouvelle offense,
n’est senti que comme conduite individuelle et provoque,
inexpiablement, à l'infini, de nouvelles vengeances.»
1.
La thèse de Hegel
En
tant qu’acte de droit, la
punition s’oppose rigoureusement à la logique purement
passionnelle de la vengeance.
Ce texte justifie l’opposition de la vengeance et de la punition
qui ne sont pas de même nature et qui renvoient à deux logiques
différentes. La punition, comme acte de droit et réparation légale,
n’a rien à voir avec la vengeance, fondée sur la logique
passionnelle et rattachée à l’arbitraire.
2.
Expressions
«
Un acte de la partie lésée » : une réaction de la victime qui,
ayant subi un préjudice, veut obtenir réparation elle-même.
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
«
Le droit se trouve ainsi troublé»: le droit, défini comme
ensemble de règles qui rend possible la cohésion et la concorde
d’un groupe, ne peut s’affirmer que dans le silence des passions.
Le droit est la détermination rationnelle des normes de la vie
commune et requiert l’avènement, en chaque individu, de la raison.
«Un mobile subjectif»: le mobile, c’est ce qui pousse à agir, à
mettre en mouvement. Le mobile peut relever soit de l’affectivité,
de la subjectivité, soit d’un examen réfléchi et rationnel. Est
subjectif un mobile qui relève de la subjectivité, c’est-à-dire
de l’affectivité propre à chaque homme, considéré dans la
particularité de son existence et de ses réactions.
3.
Commentaire
Le
précepte du droit est que «nul
n’a le droit de se faire justice soi-même».
S’il peut sembler paradoxal d’interdire à la victime de l’agression toute riposte qui ne relève pas de la légitime défense, la fondation d’un Etat de droit est incompatible avec l’acceptation de la possibilité d’une telle riposte, qui conduirait à transformer l’ensemble de la société en un champ clos de luttes incessantes, de « vendetta » (la vengeance entraîne des vengeances en chaîne et à l’infini). Pour que la punition soit normée par la seule loi, il faut qu’elle soit affranchie de toute passion.
S’il peut sembler paradoxal d’interdire à la victime de l’agression toute riposte qui ne relève pas de la légitime défense, la fondation d’un Etat de droit est incompatible avec l’acceptation de la possibilité d’une telle riposte, qui conduirait à transformer l’ensemble de la société en un champ clos de luttes incessantes, de « vendetta » (la vengeance entraîne des vengeances en chaîne et à l’infini). Pour que la punition soit normée par la seule loi, il faut qu’elle soit affranchie de toute passion.
Pour
conjurer la violence paroxystique et échapper à la loi du plus
fort, il faut placer les rapports entre les hommes sous la
juridiction d’un Etat de droit, où doit prévaloir la norme de ce
qui doit être, conformément à une exigence de justice. Toute
infraction, après avoir été dûment établie et caractérisée,
doit être sanctionnée conformément à la loi , et non selon
l’appréciation personnelle ou le désir de vengeance de la
victime. Placer ainsi toute punition sur le plan de la loi, c’est
lui assurer sa force et sa légitimité : nul n’en peut contester
le principe ou l’application (sauf sur le plan et par les moyens du
droit) dès lors qu’elle s’impose à tous de la même façon.
Cette rationalisation de la violence par le droit aboutit
historiquement à une rationalisation progressive des sociétés qui
tendent à devenir de moins en moins violentes et à régler leurs
différends par les dispositions rationnelles du droit.
Dès
lors, la punition légale ne peut plus relever d’une logique de la
vengeance, quand bien même, comme l’a montré Michel Foucault (in
Surveiller
et punir),
les dispositifs de sanction renverraient à des dispositifs de
pouvoir, de contrôle, de quadrillage des individus et du corps
social. Même si la réalité peut démentir cette distinction entre
la punition et la vengeance (voir le film de Tavernier, Le
juge et l’assassin),
il convient de ne pas confondre le fait et le droit.
Pour
que la punition ne doive rien à la vengeance, deux conditions sont
requises : il convient que les attentes légitimes de toute victime à
l’égard de la loi soient prises en charge par celle-ci ; mais il
faut aussi que la victime admette la nécessité d’un « traitement
» juridique de la faute commise. La punition légale doit répondre
à une exigence impersonnelle en son principe, dépourvue de toute
dimension subjective ou particulière ; elle fait dépendre la
réparation accordée à la victime non d’un ressentiment enclin
naturellement à une réaction disproportionnée (que ne ferait-on
pas à l’assassin pour venger la victime ? la vengeance a l’esprit
fécond lorsqu’il s’agit d’imaginer maints raffinements pour
faire souffrir l’assassin et le châtier !), mais d’un principe
d’évaluation des dommages aussi objectif que possible.
Certes,
une telle conception se heurte à l’approche passionnelle et à
l’opinion commune, ce qui rend la peine capitale tellement
populaire. Le désir de vengeance, en effet, reflète la souffrance
et la difficulté, pour la victime, de prendre ses distances. C’est
pourquoi d’ailleurs la
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
punition
légale n’est souvent perçue que comme vengeance. Mais ce qui est
compréhensible (comment ne pas partager la souffrance des parents
dont on a tué l’enfant et comprendre leur volonté bien humaine de
vengeance qui exprime, à sa façon, l’exigence de justice,
c’est-à-dire ici de réparation ), sans être acceptable,
lorsqu’il s‘agit de victimes sous l’emprise de la souffrance et
de la passion immédiate, ne peut l’être de personnes qui sont en
mesure de prendre leurs distances et de faire droit aux exigences de
la raison. Il est ainsi abusif et illégitime d’étendre la clause,
très précise et rigoureusement délimitée, de la légitime défense
(Code pénal, articles 122-5
et 122-6), à un prétendu droit de se faire justice soi-même.
Où
l’on voit, en conclusion, que la
punition ne saurait rien devoir à la vengeance,
même lorsque la sanction pénale ressemble comme deux gouttes d’eau
à la violence privée ou à une forme édulcorée et impersonnelle
de vengeance, comme cela semble être le cas avec la peine capitale
que d’aucuns pourraient qualifier d’assassinat légal et
étatique. Avant d’examiner cette question de la peine capitale,
demandons-nous quelles sont les principales fonctions qui sont
généralement assignées à la sanction.
Conclusion:
Si
la violence ne permet de définir que le seul ordre de la vengance,
le droit régule l’emploi de la force qui, de ce fait, est le moyen
par lequel le droit peut se faire respecter. La force, entendue comme
sanction, assure donc l’efficacité du droit et lui est un allié
nécessaire. En ce sens, le droit est une force, la seule qui
permette une alternative intéressante à l’emploi de la force ; il
réussit le prodige d’utiliser la force pour faire taire la force.
Et c’est là tout le paradoxe de la notion de droit que de
transformer la force dont elle fait usage.
C)
LA DESOBEISSANCE AU DROIT : LE DROIT A LA DESOBEISSANCE
Les
impératifs de la politique justifient-ils la désobéissance au
droit ? Et peut-on parfois désobéir aux lois ? Deux cas de figure
peuvent être évoqués : lorsque les intérêts supérieurs d’un
pays sont en jeu, les gouvernants invoquent parfois la raison d’Etat
qui les autoriserait à prendre des libertés avec la loi ; les
Constitutions prévoient même que, dans certaines conditions
(insurrection, invasion, guerre, etc.), les garanties légales
peuvent être exceptionnellement suspendues. L’autre cas est celui
du peuple ou d’individus qui prennent l’initiative de la
désobéissance à la loi, voire de la révolte, face à un pouvoir
politique qui l’opprime et ne lui laisse aucun recours juridique.
Faut-il
donc parfois désobéir aux lois, au nom notamment des droits de
l’homme ? A-t-on le droit de contester le droit en utilisant la
violence pour rétablir le droit ? Le
mot « parfois » a ici toute son importance, dans la mesure où,
comme nous allons le voir, il ne s’agit pas, loin s’en faut, de
désobéir toujours ou systématiquement à la loi, faute de quoi
celle-ci serait niée dans son principe même et, avec elle, la
justice tout entière. Dès lors, la désobéissance au droit
n’est-elle pas ce qui garantit paradoxalement la conformité de la
politique au droit?
C.1)
Le devoir d’obéissance à la loi
Comme
nous l’avons vu au tout début de ce cours, l’homme juste est
d‘abord celui qui obéit à la loi. La loi est par définition
universelle, de sorte que tout individu a pour obligation de la
respecter et de lui obéir. La loi politique ou juridique impose à
tous la même conduite : si je prétends y échapper, je m’accorde
alors une supériorité sur les autres, synonyme à nouveau
d’inégalité. De même, en ce qui concerne la loi morale, Kant a
montré qu’une action n’est
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
morale
que si elle est universalisable ; mon devoir m’ordonne de respecter
la personne d’autrui parce que l’attitude contraire ne serait pas
universalisable et serait immorale : j’entendrais ne pas respecter
autrui, mais j’attendrais qu’il continue à me respecter.
J’instaurerais ainsi une inégalité, une non-réciprocité.
L’universalité
de la loi, qu’elle soit morale ou juridique, instaure une égalité
entre les hommes. Puisqu’il y a réciprocité des droits et des
devoirs, tout devoir ressenti comme une contrainte est équilibré
par un devoir systématique d’autrui à mon égard. L’obéissance
à la loi paraît donc obligatoire. Le contraire serait synonyme
d’inégalité et d’arbitraire : si n’importe quel citoyen ou
homme d’Etat pouvait déroger à cette obéissance, ce serait le
règne de l’injustice, voire de la violence. Or, la définition
même de l’Etat de droit instaure une égalité de tous (y compris
le gouvernant) devant la loi, autorise le citoyen à faire valoir son
droit contre l’Etat ou l’administration, et à poursuivre devant
les tribunaux compétents le ministre ou le chef d’Etat qui
violerait le droit commun ou la constitution.
D'un
strict point de vue juridique, il y a donc une impossibilité logique
à autoriser la désobéissance et à faire de la révolte un droit.
De ce point de vue-là, toute
révolte est d'abord révolte contre le droit.
La révolte ne peut être un droit car elle se situe toujours en
dehors du droit. On
peut bien résister mais on ne peut pas désobéir.
Mais
que vaudrait une résistance au droit, aux lois et au pouvoir qui ne
soit pas aussi désobéissance ? La
révolte n'est plus alors simplement résistance,
comme nous l'avions d'abord cru, elle
est aussi et surtout désobéissance.
Pourtant, il est impossible pour une telle révolte d'être légale,
c'est-à-dire autorisée par le droit positif. Pour rester cohérent
avec cette logique du droit, il nous faudra trouver une forme de
révolte qui soit non seulement acceptable moralement mais même
prévue et autorisée par le droit positif.
C.2)
Désobéissance et révolte : la révolte, un droit et un devoir
La
désobéissance à la loi s’exprime notamment sous la forme de la
révolte. La révolte peut-elle être un droit, voire un devoir ? Si
la désobéissance à la loi est l’autre nom de la violence, dans
quelle mesure cette forme de violence possède-t-elle une légitimité? La révolte peut-elle être finalement au service du droit et de la
justice?
La
résistance à l'oppression apparaît dans la Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyens du 26 août 1789,
au côté des autres droits fondamentaux de l'homme: "Article 2
: Le but de toute association politique est la conservation des
droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la
liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à
l'oppression."
En
cela, nous pouvons dire que la
révolte est un droit naturel,
comme la liberté ou la sûreté. Non plus au sens où ces droits
appartiendraient à l'ordre naturel des choses, mais au sens où ces
droits appartiennent à la nature humaine,
et sont le propre de l'homme. Bien plus, le droit à la révolte,
compris comme droit
naturel à la résistance à l'oppression,
n'est pas un droit comme les autres.
Ce droit de révolte est comme le garant de tous les autres droits
fondamentaux de l'homme.
Il est le droit qui nous assure que nos autres droits seront
respectés. A cet égard, ce droit à la révolte a donc une
importance capitale. Il est plus qu'un droit auquel nous pourrions
avoir recours, il est une véritable obligation. Ce droit est en fait
un devoir.
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
La
nouvelle rédaction des droits de l'homme du 24 juin 1793 porte trace
de cette ambiguïté puisque le droit à la révolte n'est plus
énoncé en même temps que les autres droits fondamentaux, mais
apparaît au dernier article comme un devoir : "Article 35: «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est,
pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des
droits et le plus indispensable des devoirs." (Déclaration des
Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 juin 1793)».
Ainsi,
non seulement la
révolte est un droit, elle est même un devoir.
En cela, ce droit est fondamental, il est un droit naturel. C’est
ce que montre Rousseau dans Du
contrat social (I,
IV). La résistance à l’oppression, dans le cas où l’Etat
confisque la liberté, est un droit, mais surtout un devoir, une
exigence morale. Un peuple qui subit l’oppression et qui ne se
révolte pas est indigne.
C.3)
La révolte garante du droit : la désobéissance civile
S’il
doit y avoir des limites au droit,
le droit lui-même se doit de préciser quelles sont ces limites. Un
droit qui se voudrait illimité serait le signe d'un pouvoir
tyrannique et totalitaire. La
question d'un possible droit de révolte doit donc se comprendre
comme une interrogation sur les limites du droit, mais aussi de
l'Etat et de l'autorité.
Le droit de révolte, c'est d'abord le droit
de s'opposer au droit.
Quelles formes légales peut prendre cette opposition?
La
première limite au droit est le
droit de partir de son pays.
La première manière de manifester son désaccord avec les lois d'un
pays, c'est de partir de ce pays. L'exil
est la première forme de contestation d'un Etat de droit.
A cet égard, il est significatif que la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme de 1948 ne mentionne pas de droit de révolte, mais
en contre-partie prend grand soin de définir un droit de circuler
librement (article 13.1), un droit de quitter tout pays (article
13.2), ainsi qu'un droit d'asile (article 14.). Cette
possibilité de s'exiler et de s'éloigner d'un régime que l'on
considère injuste est une première forme de contestation du
pouvoir.
Et on peut tout à fait concevoir qu'un tel droit fasse partie du
droit positif.
Toutefois,
ce droit de révolte, compris comme droit
d'exil, reste
peu efficace. Toute révolte aspire au changement. Or, ce
n'est pas en s'éloignant de l'injustice qu'on la fait disparaître.
Il nous faut donc penser un autre droit de révolte qui soit non
violent mais pourtant qui soit de quelque efficacité pour changer un
état de fait.
On
peut voir dans la
liberté d'opinion et d'expression un
tel droit. Par cette liberté d'opinion l'homme peut faire part de
son désaccord avec une décision de justice. Il peut s'opposer non
pas physiquement mais verbalement au pouvoir. La
liberté d'opinion est une forme d'opposition qui ne prend pas la
forme de la violence aveugle.
De fait, elle est présente dans la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme de 1948 : "Article 19. Tout individu a droit à
la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne
pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de
recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les
informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce
soit."
Le
droit de révolte est fondamentalement un
droit de critique éclairée.
Il en résulte que ce droit de révolte est d'abord le droit
des intellectuels.
C'est le rôle des intellectuels d'intervenir dans le débat publique
pour critiquer
le pouvoir en
faisant usage de leur savoir. C'est ce que montre Kant dans son
opuscule
Qu'est-ce que les Lumières ? Les
Lumières sont
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
précisément
la sortie de l'état de dépendance dans lequel se trouve le peuple
lorsqu'il se sert de sa raison pour éclairer et donc critiquer le
pouvoir qui le gouverne. Ce travail est l'oeuvre exclusive des
intellectuels.
Mais
si le droit à la révolte est avant tout le droit des intellectuels,
n'est-ce pas faire de ce droit à la révolte un
droit élitiste, voire un privilège ?
Or, par définition, un privilège, avantage réservé àcertains,
est le contraire d'un droit, ouvert à tous. N'y
a-t-il pas une autre forme de droit à la révolte qui soit moins
élitiste qu'un droit à la critique?
La
désobéissance civile peut être définie comme un refus délibéré,
public, d'obéissance à une loi jugée inique, dans le but d'amener
le pouvoir politique à agir en vue de son abrogation.
C'est un acte public, qui se
distingue de la délinquance ordinaire en
ce que l'acte illicite est revendiqué comme tel. En cela, la
désobéissance civile ne relève pas précisément d'une stratégie
de rupture : l'acteur de cette forme de résistance ne cherche pas à
se soustraire à la sanction, qu'il va jusqu'à réclamer, en un acte
d'allégeance aux fondements de la démocratie.
Indépendamment
de ses motivations, la désobéissance civile peut être considérée
comme une
provocation éthique.
Le discours qui la sous-tend consiste à remettre en question la
validité éthique d'une législation jugée" scélérate"
et à articuler sa désobéissance sur une objection de conscience:
on fait appel, selon les cas, à un dilemme de conscience, à un
impératif catégorique ou l'on relève les contradictions entre la
législation enfreinte et une législation supérieure:
constitution, droits de l'homme, droit international etc.
-Exemple
du mouvement pacifiste et antinucléaire des années quatre-vingts:
résistance non-violente tels que l'occupation de terrains militaires
(Le camp militaire du Larzac, par exemple), le refus de payer une
part des impôts, l'objection de conscience ou la désertion
politique.
Alors
que le délinquant cherche à s'extraire du champ légal en échappant
aux conséquences juridiques de l'infraction, la
désobéissance civile réclame, au contraire, le châtiment dans un
geste paradoxal de reconnaissance de la légitimité du pouvoir.
Nous sommes ici loin des rebellions individuelles: la revendication
publique de l'acte, la mise à disposition des autorités sont des
composantes essentielles du caractère "civil" de cette
désobéissance. Il y a donc un terrain commun, la
reconnaissance commune de la légitimité du pouvoir,
qui rend possible le maintien d'un dialogue entre le citoyen critique
et l'Etat qui, tout en étant contraint de sévir (sous peine de
perdre son autorité légitime), se voit amené à réexaminer les
fondements de la législation critiquée.
L'acte
de désobéissance qui plus est, comme la plupart des actions
non-violentes, est une théâtralisation
médiatique du conflit qui prend à partie l'opinion publique.
C'est moins dans le rapport de force entre les objecteurs et le
pouvoir que dans l'espace médiatique et public de discussion que se
joue l'issue du conflit. D'avance,
le désobéissant se met hors jeu, en acceptant la sanction pénale,
et renvoie la balle à l'opinion publique qui se voit contrainte de
prendre position.
Ce qui était rendu licite dans le cadre institutionnel se voit remis
en question dans cet espace public que le politique, en démocratie,
ne peut ignorer. Dès lors, les citoyens ne peuvent simplement s'en
remettre aux élus et se voient amenés à réévaluer, de manière
critique, la législation contestée. Le but des objecteurs est
atteint: provoquer le débat
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
public.
Le but n'est pas d'échapper à la loi, mais de contraindre le
corps social à débattre à nouveau de ce qui avait été décidé
trop précipitamment.
Dès
lors, la
désobéissance civile ne peut reposer uniquement sur la moralité de
ses mobiles.
Elle doit démontrer de manière argumentée que la loi critiquée
enfreint les bases constitutionnelles ou éthiques de l'Etat lui-même
et que cette désobéissance n'est, en fait, que l'obéissance à une
législation supérieure, ou à une règle éthique que même l'Etat
ne peut - sous peine de remettre en cause sa légitimité -
enfreindre.
La
démocratie ne
se résume pas seulement au droit de choisir ses représentants au
sein du législatif et de l'exécutif, elle suppose
en effet que soit laissé ouvert un espace autonome de discussion et
de critique.
D'où une exigence formulée par Habermas et Balibar, à propos de la
désobéissance civile : qu'elle
puisse être fondée en raison.
Cette exigence maintient en fait la possibilité d'une négociation
sur une base autre que celle d'un rapport de force, elle permet la
discussion, par les acteurs sociaux, de la législation contestée
sur une base qui puisse être partagée par l'ensemble des citoyens.
Cette
exigence de rationalité commune semble exclure du bénéfice de la
légitimité les objections de conscience pour des motifs
irrationnels.
Comment pourrait-on fonder en raison un refus qui s’appuierait sur
une conviction intime indémontrable et se référerait - pour juger
la loi humaine - à un ordre divin qui ne saurait prétendre, de
fait, à l'universalité au sein d'une société pluraliste?
L'objection religieuse est-elle condamnée pour autant à rester dans
l'illégitimité?
Dans
la pratique discursive, une loi ne pourra être contestée qu'en
raison et qu'aux
arguments de conscience intime devra s'ajouter des arguments
admissibles, ou du moins pouvant être discutés, par tout un chacun,
quelles que soient ses convictions.
La désobéissance
civile se différencie donc de l'objection individuelle de
conscience,
même si elle peut se conjuguer avec une telle attitude. Certes, dans
la pratique, le droit légal à l'objection de conscience n'a été
acquis qu'au terme d'actions de désobéissance civile, mais cette
dernière ne
répond pas aux besoins d'apaisement d'une conscience subjective,
elle est un acte
politique qui interpelle l'ensemble de la communauté.
Et cette interpellation n'est possible que si un référent commun
peut fonder l'argumentation critique.
On
distinguera la désobéissance civile des autres formes de résistance
illégale qui
peuvent survenir dans le cas où le pouvoir perdrait sa légitimité,
en violant gravement la constitution, les engagements internationaux,
le droit international ou les droits humains. Notre analyse de la
désobéissance civile s'inscrit dans le cadre de l'Etat de droit
(n’est
pas discuté ici le problème de la légitimité d’une révolution
– au sens marxiste du terme – qui sort du cadre de la
désobéissance civile). Face à une dictature, la question des
limites éthiques de l'action civique s'efface devant celle de la
possibilité même d'une résistance : le choix éthique se restreint
ici entre celui d'une résistance illégale, mais légitime, et celui
de la collaboration, fût-elle passive. La
désobéissance civile est une forme d'opposition "extra-légale",
acceptable dans le cadre d'un Etat de droit,
précisément en ce qu'elle se réfère aux fondements métajuridiques
du droit -droit naturel, droits humains, raison historique- et
qu'elle réaffirme la légitimité de l'Etat de droit, en
reconnaissant la légitimité de la sanction.
Ainsi
on peut résumer les
conditions éthiques d'une désobéissance civile acceptable en
démocratie:
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
- 1. Les motivations doivent prétendre à l'universalité ou du moins se référer à des valeurs universalisables.
- 2. Pour cela, elles doivent être argumentées en raison, et répondre aux critères d'universalité, c'est- à - dire que non seulement la loi critiquée doit être contestable en raison mais que les conséquences de son abolition doivent répondre aux critères d'universalité exigés de toute norme éthique : les conséquences doivent pouvoir être librement supportées par l'ensemble de la communauté.
- 3. Le citoyen engagé dans un acte de désobéissance civile doit, dans le cadre d'un Etat de droit, assumer les conséquences judiciaires de son acte.
Soulignons,
enfin, que la possibilité d'une critique éclairée du
pouvoir repose sur l'accès à l'éducation (lire,
à ce sujet, l’excellent livre de P.Canivez, Eduquer
le citoyen).
C'est l'éducation qui a pour but de former l'esprit critique et le
discernement (rôle fondamental, à cet égard, de l'enseignement
philosophique). C'est là un droit qui peut tout à fait être mis en
place dans le droit positif lui-même sans être élitiste.
L'éducation est ce
qui rendra le peuple vigilant et sensible à l'injustice.
Sans éducation, un peuple peut servir un tyran sans même se rendre
compte de son sort. Mais sans éducation, un peuple peut tout aussi
bien sombrer dans la guerre civile et dans la violence sans même y
réfléchir.
Conclusion
:
Il
apparaît qu’il y a bel et bien un droit à la révolte,
sous la forme notamment de la désobéissance civile et, plus
largement, de la libre critique. Le droit à la révolte est ainsi
constitutif de l'esprit démocratique, il incarne une
vertu civique par excellence définissant
des garde-fous au pouvoir et obligeant ce dernier à travailler sans
arrêt dans l'horizon du droit et de l'universel. Ce
droit à la révolte participe alors du droit à l'éducation.
C'est par l'éducation
laïque à la liberté,
en effet, que l'homme se rend capable de reconnaître et de refuser
l'injustice, sans pour autant n'avoir que la violence pour répondre
à cette injustice.
Le droit à la révolte est un droit naturel de l'homme puisqu'il
apparaît dans la déclaration des droits de l'homme. Mais il peut
aussi prendre facilement corps dans le droit positif sans exposer la
société aux tourments de la sédition. Dans cette perspective, si
la désobéissance civile est une forme légitime de révolte, elle
reste exceptionnelle, faute de quoi c’est à nouveau le règne de
la violence et de l’arbitraire qui prévaut. La désobéissance
légitime se justifie toujours par l’espoir d’un retour prochain
du droit, de la loi, de la justice, c’est-à-dire d’un ordre
incontestable substituant à la violence la force de la raison et de
l’universel.
CONCLUSION
GENERALE
La
morale, le droit et la politique ne doivent être ni confondus, ni
séparés. Il est dangereux de donner à l’une de ces dimensions
une position souveraine, en inféodant à celle-ci les deux autres.
Mettre au pouvoir la morale, et lui soumettre le droit et la
politique, condit à instaurer un ordre moral intolérant contraire à
la pluralité des convictions. Mais lorsque les défenseurs d’une
politique s’autorisent à ignorer le droit et la morale, ou à en
faire de simples instruments, ils font règner une violence sans
bornes. Le droit apparaît alors comme le recours dans tous les
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
conflits
privés et publics. Mais le droit lui-même résulte de choix moraux
et politiques : c’est en effet le pouvoir mis en place dans une
société qui établit les règles du droit, en fonction des valeurs
dans lesquelles cette société se reconnaît et des problèmes
qu’elle doit affronter. Les hommes ont donc besoin de la morale, du
droit et de la politique, avec leurs différences, leurs tensions et
leurs interactions, pour guider leurs actions au sein des sociétés.
La
justice est une valeur et une exigence. Le souhaitable serait
évidemment que lois et justice allassent dans le même sens. Lourde
responsabilité, dans nos démocraties, pour le pouvoir législatif.
Mais Aristote a montré que la justice ne saurait être tout entière
contenue dans les dispositions nécessairement générales d’une
législation, de sorte que c’est se méprendre que de rêver d ‘une
législation absolument juste. La justice est bel et bien l’équité,
- égalité de droit, malgré les inégalités de fait et même,
souvent, malgré celles qui naîtraient d’une trop mécanique et
intransigeante application de la loi. S’il faut résister en
permanence à l’injustice que chacun porte en soi, le combat pour
la justice n’aura pas de fin.
SUJETS
DE DISSERTATION
1)
Nature du droit
-
Le droit n’est- il que l’expression d’un rapport de force ?
-
Est-ce au peuple qu’il appartient de faire les lois ?
-
Pourquoi écrit-on les lois ?
-
Dans quel but les hommes se donne-t-il des lois ?
-
A qui reconnaît-on des droits : à l’individu ou au citoyen ?
-
Le droit a-t-il pour fin d’abolir la violence?
-
Est-ce la même chose de faire respecter la loi par la force que de
fonder le droit sur la force?
-
Le droit peut-il échapper à l’histoire?
-
Une société sans droit est-elle concevable?
-
Quel sens donner au mot droit dans l’expression: “J’ai le
droit de...”?
-
La nature a-t-elle des droits?
-
Le mot “loi” a-t-il le même sens selon qu’on parle des lois de
la cité ou des lois de la nature?
-
Pourquoi obéir aux lois?
-
Qu’est-ce que la force du droit?
2)
Droit et morale
-
Ce qui est légal est-il nécessairement légitime?
-
Quand on se borne à exercer son droit, est-on pour autant en règle
avec sa conscience?
-
La loi dit-elle ce qui est juste?
-
La loi n’est-elle juste que lorsqu’elle est justement appliquée?
-
Revendiquer ses droits, est-ce la même chose que défendre ses
intérêts?
-
Pourquoi obéir aux lois?
-
Faut-il parfois désobéir aux lois?
-
La révolte peut-elle être un droit?
-
Peut-on en appeler à la conscience contre la loi?
-
Un citoyen peut-il se prévaloir d’un droit de résistance?
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
-
Pourquoi l’union du droit et de la force dans l’Etat pose-t-elle
un problème?
-
Le droit peut-il garantir le liberté?
-
Comment décider qu’un acte est juste?
-
Les hommes peuvent-ils avoir des droits sans avoir des devoirs?
3)
Droit et liberté
-
Obéir aux lois, est-ce être libre ?
-
Avons-nous le droit de discuter le droit?
4)
Les droits de l’homme
-
Quel est “l’homme” des droits de l’homme?
-
Peut-on concevoir les droits de l’homme indépendamment des droits
des citoyens?
-
En quel sens peut-on parler des droits de l’homme?
-
On parle des droits de l’homme. Cette notion a-t-elle un fondement
philosophique?
-
Pour quelle raison faut-il affirmer les droits de l’homme?
-
Les droits de l’homme : évidence ou problème?
-
Affirmer des droits de l’homme universels, est-ce méconnaître la
diversité des cultures?
-
Le droit à la différence est-il sans limite?
-
Peut-on subordonner les Droits de l’homme à la raison d’Etat?
DEFINITIONS
A CONNAITRE
-
Le droit:
-
Etymologie: latin directus,
qui est en ligne droite.
-
Un
droit (avoir
un droit): usage objectif du droit défini comme ce qui est permis
par une règle, par les lois en vigueur ; pouvoir qui résulte de la
volonté du législateur (= droit positif, c’est-à-dire réel, qui
définit la sphère de la légalité). Ce droit peut être coutumier
ou écrit (ensemble des lois: on distingue le droit privé (civil et
commercial) du droit public (droit pénal, administratif et
constitutionnel). Pour être réel, il doit s’appuyer sur une
autorité chargée de le faire respecter. Ce droit est relatif à la
législation d’un pays considéré et peut être très différent
d’un pays à l’autre.
Le
droit objectif peut se trouver en désaccord avec une revendication
subjective. Si ce désaccord est marginal et seulement le fait de
quelques individus, il est sans conséquence. Mais si ce désaccord
est massif et que le sentiment général va contre le droit positif,
alors la légalité est remise en cause au nom d’une légitimité.
-
Le
droit (avoir
le droit): le légitime, ce qui est conforme aux exigences de la
morale, par opposition au fait, au réel; l’ensemble des droits
régissant les rapports des hommes entre eux. Il s’agit d’un
usage subjectif du droit entendu comme pouvoir moral de posséder, de
faire ou d’exiger quelque chose conformément à une règle ou à
ce qui est permis. Le fondement de cet usage repose sur le sentiment
de ce qui est juste pour soi.
-
Le
droit naturel :
ensemble de règles considérées comme appartenant à l’homme du
fait de la nature ou de l’essence de celui-ci (ou de la nature en
général), et ce
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
indépendamment
de toute législation, de tout droit positif. Droit dont aucune
autorité politique, aucune loi ne peut priver l’homme (ex: les
droits de l’homme).
-
Le droit positif:
ensemble de règles (lois, coutumes, usages) données et existant
réellement dans une société; droit existant à un moment donné,
tel qu’il a été établi par les autorités compétentes.
-
Droits de l’homme:
droits fondamentaux et inaliénables qui appartiennent à tout homme
du fait même qu’il est homme: égalité devant la loi, liberté
de conscience, liberté d’expression, droit à la propriété, etc.
-
Egalité civile: principe selon lequel tous les citoyens ont, l’égard des lois, les
mêmes droits et les mêmes obligations.
-
Equité: chez
Aristote, forme de justice qu cherche à adapter la loi, dont la
lettre est nécessairement générale, aux cas particuliers qui
peuvent se rencontrer et que la loi n’a pas prévus. Elle s’efforce
de traiter chacun, avec souplesse, sur un pied d’égalité.
-
Etat de nature:
fiction
théorique d’un état préliminaire à la réunion des hommes en
société civile. Dans l’état de nature tel que le décrit
Rousseau, les hommes sont à la fois libres et égaux; solitaires et
pacifiques, ils ne se dirigent que d’après leurs sentiments
(l’amour de soi, la pitié).
-
La justice:
-
Etymologie:
justicia,
conformité avec le droit, sentiment d’équité.
-
En tant que notion,
la justice est d’abord la norme du droit, la notion de ce qui est
dû.
-
La justice est aussi une
vertu par
laquelle on respecte les droits des personnes en tant qu’elles sont
considérées comme égales.
-
Ensemble des institutions publiques et des personnes ayant pour
fonction officielle d’appliquer les lois et le droit (pouvoir
judiciaire).
-
La
justice commutative:
celle qui règle les rapports entre personnes privées de façon que
les échanges s’accomplissent selon une loi d’égalité
arithmétique (égalité de proportion quant aux choses échangées).
-
La justice distributive:
celle qui concerne les rapports de la société avec ses membres et
assure une répartition des biens et des charges publics
proportionnelle aux mérites et capacités de chacun, y compris celle
des récompenses et des échanges.
-
Légal / légitime: est
légal
tout
acte qui est conforme aux lois établies, au droit positif. Est
légitime
ce
qui est conforme à l’équité, aux principes naturels du droit.
Légitimité et légalité ne vont pas nécessairement de pair : une
loi est légale sans pour autant être nécessairement légitime
(exemple des lois despotiques ou racistes).
Lycée
franco-mexicain Cours Olivier Verdun
LECTURES
CONSEILLEES
- -Aristote, Ethique à Nicomaque, Garnier-Flammarion
- -Rousseau, Du contrat social, Gallimard
- -Hobbes, Léviathan, Sirey
- -Léo Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion
- -Luc Ferry, Philosophie politique, 1 et 3, PUF
- -Platon, La république, Garnier-Flammarion
- -John Rawls, Théorie de la justice, Seuil
- -Jean Imbert, La peine de mort, PUF, collection Que sais-je ?
- -La peine de mort dans le monde, quand l’Etat assassine, Amnesty international, 1989
- -Frédéric-Jérôme Pansier, La peine et le droit, PUF, collection Que sais-je ?
Sur
les droits de l'homme:
- -P. Canivez, Eduquer le citoyen ? , Hatier, coll. Optiques (chap. 4 “L’éducation du jugement: le droit et les droits de l’homme”).
- -L. Ferry et A. Renaut, Philosophie politique, T III, Des droits de l’homme à l’idée républicaine, PUF.
- -Blandine Barret-Kriegel, Les droits de l’homme et le droit naturel, PUF
- -Les constitutions de la France depuis 1789, Garnier-Flammarion.
- -La déclaration universelle des droits de l’homme, Gallimard, coll. Folio.
- -B. Binoche, Critiques des droits de l’homme, PUF, coll. Philosophies.
- -L. Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, coll. Champs.
- -K. Marx, La question juive, 10/18.
- -H. Arendt : Essai sur la révolution, Gallimard, coll. Tel (chap. 4 “Première fondation : constitutio libertatis” et chap. 5 “Deuxième fondation : novus ordo saeclorum”).
EXERCICE
DE CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE
- 1. Qu'est-ce que la politique ?
- 2. Que recouvre le terme de "morale" ?
- 3. En quoi la morale a-t-elle une dimension politique?
- 4. Que veut dire la formule " la fin justifie les moyens "?
- 5. Qu'est-ce qui distingue le droit de la morale?
- 6. Qu’est-ce que le positivisme juridique?
- 7. Valeur et limites du positivisme juridique.
- 8. Quels sont les différents critères du Juste?
- 9. Distinguez: justices distributive, commutative, corrective
- 10. Définir la notion de droit de l’homme
- 11. Quelle est la fonction des droits de l’homme?
- 12. Expliquer : droits civils et politiques, droits sociaux
- Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun
- 13. A quelles conceptions de l’Etat ces droits renvoient-ils?
- 14. La distinction entre droits civils et politiques, droits sociaux est-elle pertinente?
- 15. Exposez les principales critiques des droits de l’homme
- 16. Le droit transforme-t-il la nature de la violence?
- 17. Quelles sont les caractéristiques de la sanction pénale?
- 18. Qu’est-ce qui distingue vengeance et punition?
- 19. Qu’est-ce qui justifierait le droit de désobéir à la loi?
- 20. Qu’est-ce que la désobéissance civile?
No hay comentarios:
Publicar un comentario