« L’Iran a lui-même contribué à ce retour à la “loi de la jungle” »
Parce qu’elle « embastille de manière systématique des universitaires », la République islamique d’Iran est devenue « inaudible », estime Jean-François Bayart, professeur à l’IHEID, à Genève, dans une tribune au « Monde ». Il répond à la tribune du ministre des affaires étrangères du gouvernement iranien, publiée le 12 août dans le « Monde ».
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Tribune. J’ai lu avec attention la tribune de Mohammad Javad Zarif, ministre des affaires étrangères de la République islamique d’Iran, dans Le Monde du 12 août. J’en partage l’inquiétude. Comme il l’écrit, nous sommes « confrontés à un choix décisif : maintenons-nous collectivement le respect de l’Etat de droit ou retournons-nous à la loi de la jungle ? ». Comme lui, je pense que l’administration Trump est responsable de la crise dans laquelle sont à nouveau plongées les relations entre l’Iran et une part des autres Etats du système international. Je sais que les Etats-Unis n’ont jamais respecté l’accord de Lausanne de 2015, pas même le président Obama qui en était le signataire. J’admets volontiers que les Iraniens puissent s’estimer grugés, dans la mesure où leur pays n’a jamais engrangé les bénéfices promis d’un accord qu’il a pour sa part respecté. En tant qu’analyste politique, je puis expliquer la colère ou la mise en œuvre de contre-stratégies qu’inspire cette frustration.
Arrestations et condamnations
Mais, malheureusement, le propos de Mohammad Javad Zarif est voué à rester inaudible en France bien qu’une partie non négligeable de sa classe politique et surtout de ses journalistes ou de ses universitaires soit ouverte à son argumentation. Car l’Iran a lui-même contribué à ce retour à la « loi de la jungle »en laissant en son sein des forces recourir à des mesures arbitraires et préjudiciables à sa propre réputation, je dirais même à son honneur. L’arrestation et la condamnation à de lourdes peines de prison d’universitaires étrangers, sous des accusations loufoques d’atteinte à la sécurité de l’Etat ou d’espionnage qui ne trompent personne, ont un effet dévastateur sur la crédibilité de sa politique étrangère.
Parmi ces universitaires figure une citoyenne française, chercheuse éminente de l’un des établissements d’enseignement les plus réputés de Paris. J’ai nommé Fariba Adelkhah, directrice de recherche à Sciences Po, arrêtée le 5 juin 2019 à Téhéran, et condamnée à cinq ans de prison, sans avoir pu bénéficier d’un procès équitable, pas plus que ses collègues soumis au même sort.
Que Mohammad Javad Zarif m’épargne l’argument habituel de ses diplomates et du porte-parole de son gouvernement, selon lequel Fariba Adelkhah est citoyenne iranienne. Citoyenne iranienne, Fariba Adelkhah l’est sans conteste, et passionnément. Elle a même vigoureusement protesté contre les autorités pénitentiaires de la prison d’Evin qui ne lui ont pas permis de voter aux dernières élections législatives. Mais cela ne légitime en rien l’injustice dont elle fait l’objet. En outre, Fariba Adelkhah, qui est arrivée en France en 1977 pour y suivre des études, y est restée pour des raisons professionnelles et a fini par en demander la nationalité parce que notre pays était devenu sa seconde patrie, comme pour tant d’autres étrangers qui sont venus s’y former et enrichir notre culture ou notre économie sans pour autant renoncer à leurs origines. Aux yeux de la France, Fariba Adelkhah est donc citoyenne française, en même temps qu’iranienne.
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